Que les petits provinciaux, les misérables de l'outre-périphérique ne l'oublient jamais : Paris est éternel, Paris sera toujours Paris, avec un temps (que dis-je : une éternité) d'avance. Elle était la capitale du XIXe pour reprendre les mots de Walter Benjamin. Son étoile ayant légèrement pâli, elle reste le phare hexagonale. Elle ouvre la voie.
Pour l'heure, elle nous susurre, dans une parodie toute malrucienne, que le XXIe siècle municipale sera féminin ou ne sera pas. Et nous, perdus en nos communes, nos hameaux ou nos lieux-dits, n'aurons pas le bonheur parisien de voir des femmes, des femmes, et des femmes, descendre dans l'arêne politique pour nous offrir le meilleur.
Qu'on fasse un temps l'estimation de ce qui attend l'électorat capital : Anne Hidalgo, Nathalie Kosciusko-Morizet, Rachida Dati, en attendant la sémillante Cécile Duflot. Autant dire un florilège d'intelligence, de réflexion et de grandeur. Il manque Roselyne Bachelot (ou Marie-Goerges Buffet, ou Marielle de Sarnez) pour que nous puissions parler d'un cinq de départ éblouissante, comme dans une équipe de basket.
Pourquoi parler d'équipe, quand nous évoquons, logiquement, des adversaires, des rivales sans pitié et sans merci ? Parce que leurs différences sont si ténues qu'on se demande ce qui justifie un tel affrontement ? On dirait un défilé pour bobos de gauche. C'est à ce point risible qu'on en vient à penser que c'est le silence devant ce risible qui intrigue et qui donne à l'événément tout son piquant.
Cette effervescence d'ardeur politique féminine éblouit les donneurs de leçon en matière de démocratie. J'entends : les mesureurs de santé publique et politique à l'aune de la terreur gender studies. Le dynamisme est femme ; la respiration démocratique se mesure au tailleur et au rimmel, qu'on se le dise une fois pour toute. Françoise Giroud avait ce mot savoureux : "l'égalité, c'est quand on nommera une femme pour son incompétence" (1). Vu sous cet angle, on peut légitimement penser qu'on avance à pas de géants. Ce sont pour le coup des enjambées à la Rabelais ou à la Swift.
Se moquer de cette bataille en jupons (ou en jeans : l'affaire est encore en discussion. Tout dépendra de l'engagement de Cécile Duflot. Soit le classique, un peu guindé -mais pas trop- sans elle ; soit le destructuré revival hippie, avec elle) est d'un mauvais goût certain. Je suis de mauvais goût. Passablement sexiste, machiste, rétrograde. Si on veut : je prends tout. Au bout d'un moment, cela n'a plus d'importance. Néanmoins, il est raisonnable de se poser une question plus sérieuse.
Lorsque l'ordre des représentations ne fait qu'inverser un état antérieur, ne tombe-t-on pas dans le grotesque ? Entendons par grotesque cette forme de représentation théâtrale que les Anglais connaissaient avec Shakespeare et que les romantiques, Hugo en tête, ont exploité au XIXe siècle. Grotesque, en ce que le mélange des genres, l'excès communicationnel, le va-et-vient entre la volonté de discours sérieux et l'impossibilité de ne pas jouer un numéro de charme, tout cela nous fait penser à la pesanteur des gros gâteaux du romantisme boursoufflé. La manière dont ces dames ont commencé à débattre relève plus crépage de chignons que de la dialectique idéologique. Les quelques échos que j'en ai eus faisaient penser à une querelle de lavandières. Et sur ce plan, pas moyen de faire mieux que Goldoni.
Pourquoi ainsi parler de théâtre ? Pourquoi ne pas se gausser avec la même vigueur de l'affrontement fratricide -deux clônes, imaginez- entre Fillon et Copé ? Sexisme masqué ? Indulgence masculine ? Esprit de corps, en quelque sorte ? Nullement. Il est simplement normal, sain et raisonnable d'évaluer la nouveauté, le changement, l'évolution, pour tout dire : le progrès, qu'on nous a promis et vanté. Cet inévitable progrès, sans quoi il n'y aurait pas de marche vers des temps meilleurs.
Depuis 68, on nous bassine avec ces espérances de la féminité, féminité posée comme une sorte de synthèse de l'humanité bienveillante et douce ; depuis 68, on confond l'émancipation des femmes (et tant mieux, il n'y a rien à redire là-dessus) et une lecture génétiquement douteuse de la féminité bouclier contre la prédation masculine. Les hommes ont fait l'Histoire, la violence, les massacres et tout le tintouin. D'accord. Est-ce une raison pour croire que le bouleversement des sexes induit un changement radical des comportements, des idéologies politiques et réduit la noirceur phallique dans une sorte de candeur vaginale ?
Le ridicule de cet éblouissement féminin avait commencé dans les années 70-80 quand on faisait se tordre rire l'étudiant de lettres que j'étais avec l'aporie de l'écriture féminine, laquelle reste, d'un point de vue stylistique, une énigme : j'attends encore une lecture à l'aveugle d'extraits pour m'expliquer la détermination sexuée des pages soumises à la lecture. Certain qu'on arrivera à la même escroquerie que dans le domaine de l'œnologie. Ici, ce n'est pas le flacon qui fait l'ivresse, mais l'étiquette. Après la littérature (2), la politique. Et de nous servir le plat d'une différence dont on attend toujours les effets. Les femmes, ou une manière différente de faire de la politique. Vaste escroquerie...
Glosons un temps sur le concept de différence avant de revenir à nos parisiennes. Celle-ci, qui procède en partie d'une analyse structuraliste du monde (la pertinence, de Saussure et Jakobson), est un pis-aller en la matière. On confond le sexe avec une philosophie essentialiste dans laquelle la différence, c'est toujours le mieux, le plus. On oublie au passage que la différence est devenue au fil du temps une ressource communicationnelle, un gimmick pour agence de pub (3), un credo pour représentants de commerce.
Alors, la différence des femmes ? Plus d'opportunisme ? Plus de stratégie ? Plus de reniements ? Plus de compromissions ? Plus de violences verbales ? (4)
Nos parisiennes, nos parisiennes... Des dents à rayer le parquet pour toutes, jusqu'à la caricature en ce qui concerne Hidalgo et Dati. Chez Duflot, aussi, mais avec ce petit air "dites les filles, vous avez, ministre, je suis, les filles" qu'elle pousse à l'extrême. C'est, de très loin, la plus ridicule du quatuor. Reste NKM. Réduction à l'acronyme. Un équivalent en jupons de DSK, ou bien une marque, comme BMW, NHK ou KTM. Ça claque, ça sonne. Éventuellement porteur...
Sa médiocrité ministérielle fut grandiose, sa nullité électorale plus grandiose encore (5), pendant une présidentielle où elle avala coulœuvre sur coulœuvre... Mais, dira-t-on, ce n'était pas elle. Elle n'était pas vraiment libre de ses mouvements. Alors, regardons faire cette différence féminine-là, dans sa conquête de la mairie de Paris. Ayant compris qu'il n'y aurait en ce lieu nulle victoire sans être gay friendly (selon les commentaires de sa copine Bachelot qui s'inquiétait de ce que la bonne et sérieuse Nathalie allait décider quant à son vote sur le mariage pour tous), elle a choisi de s'abstenir. Oui, s'abstenir, au motif qu'elle est pour mais contre la MPA et la GPA. Comme si l'un ne pouvait pas immanquablement procéder de l'autre. En clair : ne pas aller dans le camp d'en face, pour ne pas choquer son électorat de base ; ne pas rester dans une opposition radicale, pour qu'on ne lui rétorque pas le moment venu qu'elle n'était pas assez ouverte... L'abstention donc. Ce qui, sur un sujet aussi crucial, relève de la bêtise absolue. Ab-so-lue et méprisable. Pour le coup, j'ai infiniment plus de respect pour Benoït Apparu qui a choisi de voter le texte. NKM, c'est le cynisme au rouleau compresseur. Mais c'est une femme : il faut y voir une subtilité dialectique là où, pour un homme, on ne verrait qu'intérêt politicien (6)...
NKM a fait preuve, en quelques jours, pour un projet qui ne concernait qu'elle, devenir maire de Paris, pour une perspective qui ne mettait en jeu que son ego, d'une fourberie dont je ne dirai jamais qu'elle est féminine, parce que je ne dirai pas non plus qu'elle est masculine. L'ambition et l'art du louvoiement n'ont pas de sexe, comme la médiocrité. Tel est l'enseignement de ce jeu d'hypocrites auquel les parisiens seront conviés.
Entre hommes ou entre femmes, la belle affaire. Un leurre de plus dans l'arêne politique ; une distraction de plus dans la marre médiatique. Cela servira seulement à faire vendre de la feuille, à faire bavasser les politologues et les sociologues qui y verront un signe indubitablement de changement, d'évolution, de maturité, de renouveau, de grandeur, d'apaisement, de conformité avec l'espace du réel, d'adéquation avec la vitalité sociale, d'écoute nouvelle, de mutation sociologique, de bouleversement dans les instances décisionnaires,... Bref : à vous d'imaginer.
Qui n'a pas compris la beauté de la chose est un être obtus, diront ceux qui nous vendent ce nouveau féminisme comme une porte de sortie à la catastrophe ambiante. Force est pourtant de constater que la seule vertu de la parité gouvernementale, et nous en sommes redevables à la présidence Hollande, est d'avoir démasqué ce mythe de la femme politique, cette aporie de la différence. Le nombre aurait fait apparaître une médiocrité (de Delaunay à Bertinotti), une prétention (Filipetti) et une arrogance (Vallaud-Belkacem) qui n'est ni plus ni moins le reflet d'un comportement politique que nous connaissions du temps où l'État était une affaire d'hommes.
Il n'est pas interdit de continuité dans cette voie. Je n'y trouve nul inconvénient, étant donné que le problème est ailleurs. Non pas dans la détermination des genres mais dans l'élaboration des politiques. Or, la féminisation de la politique correspond étrangement au triomphe de l'ultra-libéralisme et à la vacuité décisionnaire de ceux qui prétendent nous gouverner. De fait, les femmes qui sont aujourd'hui au pouvoir non seulement ne changent rien à la politique mais participent (dans le sens où elles sont le symptôme) d'un désastre plus grand : celui de la mort du politique. Il n'est pas question de prôner le retour à un ordre ancien, à une sorte d'archaïsme patriarcal qui sonnerait comme le signe des temps heureux. Ce billet ne défend pas l'homme, comme il n'attaque pas la femme. Il signifie seulement que le discours autour des sexes et de la politique est une fumisterie, qu'elle est un écran de plus pour ne pas aborder les questions de fond : quelle politique ? quelle société ? quelle misère ? quelles solidarités ? quels partages ?
Pour l'heure, la parité politique et ses effets accompagnent fort bien la décomposition sociale et l'accentuation de la paupérisation. Je ne suis pas sûr que les femmes d'en haut s'en préoccupent beaucoup, trop occupées qu'elles sont à leur plan de carrière.
Certainement : sur la question des femmes en politique comme une nouvelle ère, je resterai obtus et dédie ce petit billet à Laurence Parisot.
(1)Ce que prouve la récente nomination de Ségolène Royal comme vice-présidente de la BPI par l'ami socialiste Jean-PIerre Jouyet, copain de promo à l'ENA de l'homme normal. Bel exemple de république bananière...
(2)Précisons qu'il en est des femmes-écrivains comme du reste : du pire et du génial. Au choix, Katherine Pancol et Amélie Nothomb pour la catastrophe, Marguerite Yourcenar ou Virginia Woolf (mais il est vrai que la sublime Virginia avait par avance cloué le bec aux bavardes qui nous faisaient la leçon. Il suffit de lire Une Chambre à soi, où elle place d'abord la question sur le plan économique, c'est-à-dire dans un cadre qui n'a rien d'abstrait et pseudo-philosophique).
(3)"France-Inter : écoutez la différence", il y a quelques années.
(4)Subversité de la langue. Le "plus" compris, selon l'envie, comme une négation ou une exagération.
(5)Sans esprit partisan : on se demande comment Sarkozy a pu penser un seul instant faire campagne avec un porte-parole aussi insipide...
(6)C'est sans doute en fonction de ce même paramètre que l'on est si indulgent avec Marisol Touraine, ministre de la santé, qui fut inexistante et silencieuse dans le désastreux épisode des pillules des troisième et quatrième générations. Elle était beaucoup plus en verve quand il s'agissait de se placer dès l'automne dans la course à la succession de Jean-Marc Ayrault...
Photo : Renaud Allirand