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  • En passant...

    politique, publicité, guy debord, la société du spectacle, capitalisme, illusions, manipulation, séduction

     

    Peu importe l'actrice, peu importe la marque. De toute manière, les deux ne sont que des produits. Elles s'encadrent dans le panneau de l'Abribus pour te faire de l'œil. L'idéal : n'y voir que du feu. 

    Ce n'est pas la confusion des genres, mais bien l'aboutissement des genres, le lieu propre de la parodie culturelle combinée à l'impératif consumériste. C'est la séduction érigée en principe, pour te fourvoyer, littéralement.

    Tu repenses à Guy Debord, bien sûr, à l'aphorisme 34 qui clôture la première partie ("La séparation achevée") de La Société du spectacle : "Le spectacle est le capital à un tel degré d'accumulation qu'il devient image".

     

    Photo : Philippe Nauher

  • Pyrrhus

     

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    La dernière campagne du site adopteunmec.com ferme la boucle, en quelque sorte. Dans une stylisation de signalétiques pour analphabètes, le message se réduit à trois éléments graphiques. Le slogan est inutile. Mais, dans le fond, le message est déjà dans l'entité commerciale.

    Le dessin. Une femme, un homme, un caddie. La simplicité étriquée et redoutable du consumérisme est là, imparable. La relation (à la fois lien et récit) est concentrée dans la transformation de l'être en marchandise. Le sentiment dans sa potentialité vivante est indexée sur la pratique quotidienne de l'achat. L'autre n'a plus d'âme : il est le corps dépouillé et anonyme. Quatre traits, un cercle et tout le monde sait de quoi il s'agit. Mais s'y retrouve-t-on pour autant ? "de quoi il s'agit", dis-je, et non "de qui", parce que le "qui" supposerait une identité même partielle de l'être.Or l'identification ne vaut pas identité. La stylisation choisie n'est pas la simple réutilisation d'un code commun et pratique. La lisibilité n'est que la surface du sens. La symbolique est dans l'être décharné, défait jusqu'à l'os. Il est là sans y être.

    Dès lors, sa place est effectivement dans le caddie, comme un paquet de lessive. Il n'est que le signe opératoire de l'action. Il est l'acheté, et incidemment, par le biais d'un jeu de mots facile, "l'à jeter" immédiat, ou selon les règles de l'obsolescence qui organise la vie des choses.

    Le "mec" tombe à la renverse, dans l'escarcelle de la belle qui a jeté (encore...) son dévolu sur lui. Or, il est un peu abusif de la présenter comme une "belle" (de jour ou de nuit...) quand elle n'est plus qu'une ménagère (de moins de 30 ans ?) réglant ses affaires de cœur, ou de cul, selon le protocole, et ses implications morales, de la consommation.

    Pourquoi pas au fond ? On pourrait dire qu'à la logique domjuanesque de la conquête (1), virile et libertine (2) se substitue celle, anonyme, de l'achat, féminin et aliénant. On ne peut pas dire que dans l'histoire, les femmes en sortent avec une image revalorisée. Mais il ne semble pas que les féministes se soient insurgées outre mesure devant cette campagne. Sans doute y ont-elles vu l'expression de leur revanche bas-bleus, parce que l'important est de ne pas être dans le caddie mais de le pousser. C'est oublier que le processus d'inversion ne signifie pas que les rapports de pouvoir aient eux-mêmes subi un bouleversement profond. Dans la relation du maître à l'esclave telle que l'envisageait Hegel, la mort de l'esclave signait la victoire du maître, la mort du maître celle de l'esclave, mais dans la disparition des deux, c'est le maître qui gagne symboliquement. Je crains que la présente affiche ne soit qu'une illustration de ce cas de figure. À vouloir se prouver qu'on décide de la situation, on finit par se soumettre à la dite situation.

    Mais, objectera-t-on, les féministes ne sont responsables de l'affiche. Certes. C'est une entreprise commerciale qui, pour lancer des boutiques, joue le décalage et veut faire le buzz avec des vitrines en clin d'œil du fameux quartier rouge d'Amsterdam. On en revient toujours à cette illusion de l'inversion. "Il faut que tout change pour que rien ne change". On connaît la chanson depuis Le Guépard de Lampedusa. Rien de réjouissant.

    En revanche, on peut s'attarder sur le processus idéologique qui a pu ouvrir à de telles absurdités, c'est-à-dire comment l'apparence d'une libération féminine se retourne en dérision sexiste (dont personne ne s'émeut d'ailleurs. Aucune ministre pour venir au secours des hommes... (3)). Quand ces revendications, dont la légitimité pour partie est incontestable par ailleurs, prennent place dans un processus plus large de libéralisation de la société et qu'en clair l'émancipation, comme ligne politique, se confond progressivement avec l'outrance libérale réduite à sa dimension économique, il ne faut pas s'étonner que de méchants commerciaux et de vilains communicants appliquent avec une certaine ironie les diatribes enragées des féministes les plus ferventes. Si l'on veut s'y arrêter deux secondes, cette campagne met en scène la revanche voulue par certaines depuis les années 70. Pourquoi pas, là encore ? C'est une possibilité dans l'évolution des rapports sexués et sociaux. Mais il faut alors prendre conscience de quoi on parle, sur quoi on s'appuie. S'agit-il de refaire le monde ou d'obtenir une parte du gâteau ? Si les mouvements qui prônent l'égalité se contentent d'une logique de substitution comptable (4), l'espoir que les choses changent s'amenuisent. Pire encore : c'est un des moyens les plus efficaces de l'ultra-libéralisme pour intégrer, digérer et donc neutraliser la contestation. Plus que d'autres, les féministes, parce qu'elles ont été, dans leur stérile posture de minoritaires, des agents spectaculaires d'un monde ouvert sur le marché pour tous et partout, doivent se sentir responsables qu'une telle campagne puisse s'étaler sur nos murs et nos Abribus. Marx était de trop sans doute...

    Cette histoire sans paroles est, dans sa forme, dérisoire et brusque. Le mouvement du caddie fait que on ne se rencontre pas, on se percute, on se heurte. Les rapports d'intérêt se doublent d'une précipitation propre à l'époque. À l'opposé de ce caddie si peu romanesque, on pense à la manière gauche d'un Frédéric Moreau subjugué par l'apparition de Marie Arnoux, jusqu'à ce que "leurs yeux se rencontr[ent]". Sublime hésitation vraie de l'être face à un autre, sans la moindre médiation. Face à face, sans écran, sans formulaire, avec tout le risque qu'il y a de tomber amoureux sans être sûr de rien. Un autre monde. Un monde perdu, peut-être. Pas celui du site que nous venons d'évoquer...

     

    (1)Relire la longue tirade de Dom Juan à Sganarelle dans la pièce de Molière (Acte I, scène 2)

    (2)Dans l'acception complexe de cet adjectif au XVIIe siècle.

    (3)Ce dont je leur sais gré, pour être franc, parce qu'il y a des défenseurs dont on ne s'honorerait pas, et les jupons gouvernementaux sont si nuls (comme leurs congénères masculins) que leur silence seul est un bonheur.

    (4)N'est-ce pas ce qui fonde l'argumentaire débile de la parité ? Posture qui a au moins l'intérêt de démontrer que "l'autre manière de faire de la politique grâce aux femmes", dont on nous a rebattu les oreilles, est une escroquerie (pourtant prévisible).

     

  • Langue morte

    Il paraît que "l'inventeur" de Je suis Charlie chercherait à récupérer le droit intellectuel de la formule afin de contrer les dérives mercantiles qui en sont faites. C'est bien là le moindre problème qui se pose. Ce garçon est en effet d'une touchante naïveté (1), à croire qu'il ne vit pas dans le même monde que nous. Il devait savoir que l'exploitation, la transformation et le recyclage sont des piliers du libéralisme et du post-moderne. Rien n'est sacré, en la matière, et nul ne peut espérer échapper à un destin monétisé. il aurait dû se souvenir du ré-investissement fort peu révolutionnaire des portraits du Che dans les années 70 : badges, tee-shirts ou posters, au choix.

    Ce regret de "l'auteur" est louable mais vain, car il ne pouvait en être autrement quand l'instantané et l'émotion sont le terreau d'une "trouvaille", d'un slogan efficace et lisible. C'est publicitaire, et rien de plus. Il faut le prendre comme tel. Pas une idée, mais un exercice de rhétorique soumis aux critères d'une annonce mémorisable et claire (du moins dans son évidence d'annonce, parce que cette clarté est bien sûr très fausse). Je suis Charlie n'est pas, dans sa nature de ralliement simplificatrice, autre chose qu'un affichage de marque (2). Il faut jouer sur le potentiel du signifiant et le tour est joué. Il n'y a pas de différence entre Je suis Charlie et Quand c'est trop, c'est Tropico, Vittelisez-vous ou C'est bon, c'est bio. L'opportunité du jeu fait l'efficacité du message. En clair : on a pris pour une parole politique ce qui n'était qu'une manipulation linguistique, pas même un trait d'esprit (3).

    Et cette manipulation vaut par la chance que la langue donne comme licence poétique à celui qui en use. Je suis Charlie tombe sous le sens (et disons-le : au-dessous du sens), comme seraient tombés sous le sens Je suis Le Monde, Je suis L'Humanité. Pour ces deux cas-là, c'eût été magique d'imaginaire grandiloquent (et de récupération tout aussi grotesque). On aurait un défilé de Français prenant sur eux la puissance de la Terre et des Hommes. Ils auraient, par le biais d'une métaphore faussée, rehaussé le procès de l'universalisme dont ils se gargarisent sous prétexte que leur pays a fait la Révolution française et les Droits de l'Homme. Oui, Je suis Le Monde aurait eu de la gueule comme on dit et les plus anciens y auraient trouvé l'écho malicieux du we are the world humanitaire concocté par Michael Jackson et compagnie pour se donner bonne conscience sur la misère éthiopienne. On comprend que l'affaire était moins jouable avec Je suis Le Figaro, sauf si l'on est prêt à une petite entorse littéraire pour revoir la formule en Je suis Figaro (4), et moins encore Je suis L'Express, Je suis L'Obs, Je suis Valeurs Actuelles. C'est donc la plasticité du signe qui fait effet, pas le sens en soi. Encore faut-il remarquer que cette réussite en matière de communication se justifie par une suppression lourde, une quasi amputation : Je suis Charlie et non Je suis Charlie-Hebdo. La réalité du journal laisse la place à une personnification un peu gênante.

    Mais ce raccourci, qu'au premier abord on expliquera par le souci de frapper l'esprit, n'est pas sans conséquence, et ce à deux niveaux. Il efface  d'abord le journal, soit : l'objet du délit et les caricatures. Dès lors, tout le monde s'est empressé de sortir avec sa petite pancarte Je suis Charlie et les dessins sont passés à la trappe. C'était le prix à payer pour que tout le monde s'y retrouve, à commencer par ceux qui bavaient sur l'hebdomadaire satirique. On pouvait alors parler de la liberté de la presse, dans un contexte étrangement neutralisé par le politique, alors que la question portait d'abord sur les caricatures de Mahomet et les folies de l'islamisme. Cette coupure est ensuite tout bénéfice pour le débordement narcissique à peu de frais. De journal Charlie devient une sorte de personnage vide dont chacun peut endosser l'illusoire héroïsme. Il y a alors une théâtralité assez tragique que redoublera d'ailleurs l'appel au plus grand nombre, comme s'il fallait gonfler les chiffres pour masquer les baudruches de la pensée. L'identification est moins salvatrice (politiquement) que gratifiante (personnellement). Cet appel biaisé dans sa construction, même inconsciente, est le moyen faible et réducteur par quoi l'unanimité montre qu'elle n'existe que sur le plus petit dénominateur commun. Et le besoin affectif, quoiqu'il soit artificiel, de se retrouver ensemble ne pouvait que fonctionner avec un tel mot d'ordre. On sent dans ce Je suis Charlie, par quoi le je de chacun se retrouve dans l'autre, cette chimère à la fois narcissique et vaguement ridicule d'une unité/unicité des membres. C'est la suspension de toute démarcation au profit d'un idéalisme de bazar. I am he as you are he as you are me And we are all together. C'est beau et niais comme du Lennon pur sucre...

    Je suis Charlie, c'est un peu le Ich bin ein Berliner, à la portée de toutes les consciences, un effet d'annonce qui n'aura pas besoin de se donner des devoirs. On fait sa sortie du dimanche et on rentre le soir en montrant ses selfies et ses photos panoramiques. C'est donc pire que tout. Plutôt que dire qu'on est soi, vraiment soi, et qu'en tant qu'individualité on s'affirme pour élaborer une collectivité qui vibre, on prend tous le même masque, le même nom, on fait masse, et c'est le silence futur... Ce n'est plus le Je suis absolu d'une pensée raisonnée, un héritage cartésien par quoi je m'abstrais du seul besoin de mes affects, mais un Je suis qui obéit au mot d'ordre, disparaissant derrière la pancarte. Je suis Charlie, à longueur de rues, grouillant sur les places, ou l'art de ne plus exister dans une différence cumulative qui est la vraie force des foules refusant d'être bêtes.

    Il n'est donc pas étonnant que l'effet boomerang fut spectaculaire. L'aphasie politique que cache ce slogan, que les autorités et les politiques ont repris comme un seul homme, petits godillots d'une pensée neutralisée, ouvrait la porte à toutes les horreurs et toutes les inepties. Je suis Charlie induisait Je ne suis pas Charlie mais aussi Je suis Kouachi, Je suis Coulibaly, etc. On avait en un instant pulvérisé toute possibilité d'opposer une vraie parole à l'horreur et l'horreur pouvait, selon une réciprocité dans la forme, rendre coup pour coup. On peut certes déplorer, être dégoûté de voir comment certains se sont emparés de la formule initiale mais c'était couru d'avance. En discréditant le politique au profit d'une symbolique humanisée sans profondeur, on laisse la possibilité à l'adversaire de choisir ses héros.

    Je me demande bien ce qu'ont fait les marcheurs dominicaux de leurs affichettes :  les coller au-dessus de l'ordinateur dans le bureau, les aimanter sur le frigo, ou les punaiser sur la porte d'une chambre adolescente ? Ou bien, à la poubelle déjà, comme un slogan déjà usé. Et c'est justement là qu'est le pire de l'histoire : ce sentiment diffus qu'avec une telle rhétorique d'agence de pub, il ne peut rien rester, parce que le politique n'est plus pensé comme une action mais une réaction épidermique. Je suis effaré de l'optimisme revendiqué devant cette levée populaire. Tous derrière Charlie, comme derrière une équipe de foot. Guère plus. Ce n'est pas un hasard, je crois, que des journalistes idiots aient fait des parallèles quantitatifs avec la victoire de 1998. 1998 : à l'époque, le cri de ralliement était black, blanc, beur. Aussi crétin que Je suis Charlie, aussi illusoire...

     

    (1)Encore que je ne crois guère à sa naïveté, parce qu'il est directeur artistique du magazine Stylist. Il connaît le milieu. Il peut difficilement passer pour le manipulé du système.

    (2)De là sa déclinaison en tee-shirt. Blanc sur fond noir : efficacité maximale et concordance avec tout ce qui peut se porter...

    (3)Dont les implications sont bien plus lourdes de contenu, comme l'a montré Freud...

    (4)Ne serait-ce que pour rappeler que sans "le droit de blâmer, il n'y a point d'éloge flatteur"...

  • Une question de valeur.

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    Si les entreprises de communication font abstraction de la morale (y compris celles tendant à vouloir nous culpabiliser : de la mission humanitaire à l'esthétisation de la misère, en clair : le spectre ONG-restos du cœur...), il n'est pas interdit de sourire devant les incohérences et les duperies. Foin de toute indignation (nous laisserons cela à la géronto-philosophie de Stéphane Hessel), jouons le jeu.

    La dernière campagne de la FDJ, qui s'affiche aujourd'hui sur les panneaux publicitaires et autres Abribus, est assez réussie si l'on veut bien considérer la trouvaille linguistique qui est au cœur du message. La configuration du panneau aéroportuaire renvoie à la question de la destination : le voyage est suggéré et c'est là un poncif de la com' faite depuis longtemps par cette entreprise. Et l'on comprend que, dans le fond, si l'on veut bien laisser de côté les hasards de la vie qui n'en sont pas (cela s'appelle la détermination sociale et politique), l'existence, ce sont des lettres bien ou mal disposées. Une quasi roulette russe.

    Pour le coup, on doit reconnaître que le message est clair sur le plan des oppositions. À la relation contradictoire pauvreté (ou modestie)/richesse  s'en ajoute une seconde plus gênante, travail/oisiveté, quand il s'agit de défendre l'oisiveté. De là l'équation subliminale (enfin, n'exagérons pas...) : travail = pauvreté. Équation par laquelle on déduira :

    1-Que le travail est un piège et une illusion. Qu'il n'est pas question de vivre bien (ou mieux) si l'on s'en tient à cette seule référence.

    2-Que le gain substantiel (et hasardeux, de surcroît) ne peut avoir qu'une seule destination (soyons rieurs...) : ne rien faire. 

    En clair, il n'y a pas mieux que cette publicité commandée par un organisme d'État pour nous expliquer que le fric, arrivé à un certain degré d'accumulation,  c'est pour ne rien faire (soi) et faire bosser les autres. On ne peut pas être plus clair sur le discours libéral des nouveaux parvenus.

    Qu'un gouvernement de gauche (décidément, nous rions beaucoup...) laisse passer une communication de ce type est savoureux. Cela signifie que tout le discours sur la grandeur et la noblesse du travail, et la célébration (certes mesurée) des modestes, est une fumisterie

  • Téléscopage


    Cette publicité, ce qu'on appelait réclame alors, terme que l'on entend encore dans la bouche de certaines vieilles personnes, est l'un des cinq spots auxquels eurent droit les Français, à la télévision nationale, le 1er octobre 1968. La célébration du Boursin constituait même la première séquence de l'ensemble. Jacques Duby, que l'on retient surtout pour être un remarquable et agaçant Camille dans Thérèse Raquin,  caricature un insomniaque. Ce n'est pas du grand art :  air idiot du comédien, dialogue fondé sur la redondance maximale, final aux grandes orgues ; mais, dans le fond, pas plus indigne que les pubs contemporaines. Après le Boursin, qui servait d'entrer, on pouvait boire léger avec Régilait, vérifier la maille avec Tricotel, réfléchir à l'industrie avec Schneider, se délecter des plaisirs du beurre avec Virlux. C'était tout un programme.

    On ne peut que s'amuser du moment où est apparue la publicité à la télévision. En plein été, le conseil des ministres avait décidé d'autoriser sa diffusion sur le petit écran. C'était un 31 juillet. On s'étonnera sans doute que dans la continuité d'un printemps qui fut agité, allant jusqu'à menacer (du moins feignit-on de le croire) le pouvoir en place, il était urgent de statuer sur la réclame. Il est classique de se servir des moments de creux : les gens sont en vacances, ils bronzent, ils se reposent, pour prendre des mesures en douce, des mesures évidemment désagréables. Que nenni, cette fois ! L'exécutif se penchait sur une question de com' ! Et contrairement à certaines promesses que des mesures dilatoires repoussent aux calendes grecques le citoyen eut droit, à l'automne, à ses spots. Comme au cinéma...

    Vu sous cet angle un peu facétieux, il est donc possible d'analyser la crise de 68, cette effervescence pseudo révolutionnaire s'écrasant très vite dans le désir avoué de la consommation et du fameux pouvoir d'achat, comme une fièvre qu'un peu de fraîcheur télévisuelle vient calmer. Le contestataire du moment trouvait que s'il devait y avoir de la richesse, celle-ci devait en partie lui revenir (1). Se réveillant (à défaut d'éveiller sa conscience) devant l'abondance, il avait envie d'avoir sa part du gâteau. L'homme de 68 (2) voulait être de son temps. C'était le ventre qui parlait. Il fallait pouvoir se lever en pleine nuit pour vérifier l'abondance, comme un symbole de sécurité.

    Que la révolte printanière accouche de ce qui deviendra un jour l'essence télévisuelle, de ce dispositif terrible permettant d'obtenir, ainsi que l'avouait Patrick Le Lay quand il dirigeait TF1, du temps de cerveau disponible pour Coca-Cola, voilà qui n'est pas sans saveur.

    (1)Il faut avouer, à sa décharge, que l'univers politico-syndical ne permettait guère d'aller plus loin dans l'analyse. Les communistes, en productivistes impénitents, ne se distinguent pas dans le fond des aspirations américaines. Il faudra un jour revenir sur la grosse escroquerie intellectuelle que représentent les faux semblants du bolchévisme en matière économique.

    (2)Je ne parle pas ici des étudiants, lesquels, à l'image de ce que devinrent leurs leaders, étaient des guignols de première ; je pense à la classe ouvrière, oui, la classe ouvrière. Le mot classe : cette réalité sociale et économique que la droite a toujours ignorée et que la gauche a fini par trouver si vulgaire...

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  • Guerres

     

    http://www.clg-vauban.ac-aix-marseille.fr/spip/IMG/jpg/affiche-2.jpg

     Lorsque James Montgomery Flagg en 1917 crée cette affiche pour inciter le citoyen américain, il invoque le patriotisme, le sens du sacrifice et la posture comminatoire de l'oncle Sam est déjà un signe de ce qui attend celui qui répondra à l'appel. Il y a, même masqué, même diverti par les techniques déjà efficaces de la propagande, un avant-goût churchillien de ce qu'est la guerre : de la sueur, du sang et des larmes...

    Le recruteur, la patrie dans sa forme allégorique, joue sur la conscience de l'appelé (qui n'est pas évidemment l'élu...) et l'on ne pourra ensuite prétendre qu'on ne savait pas à quoi s'en tenir. Dans sa rudesse et sa simplicité, cette affiche offre une sorte d'honnêteté. Sans doute parce que nous sommes en temps de guerre, d'une guerre réelle, de tranchées, dans laquelle l'ennemi est visible, sensible. Le soir, parfois, sur la colline de Vimy, les adversaires se parlent, s'entendent. Ils sont, comme on ne le sera guère ensuite que dans les combats urbains des guerres dites civiles, dans le proche et le lointain. L'oncle Sam et son regard terrible, formidable (pour faire un anglicisme) préfigure l'œil de l'opposant. J'en appelle à toi, dit-il en substance, et sans détour, parce que ce à quoi tu  seras confronté sera aussi terrible et sans détour.

    Qu'il s'agisse d'une technique d'embrigadement est secondaire : on le sait et cela ne sert pas à grand chose de le répéter. Ce qui compte tient au fait que la réalité, même invisible (et pour cause, vu l'époque), imprègne le message. L'urgence, la brutalité de l'adresse, ce you magnifié en même temps qu'on lui promet un avenir de boucherie... On ne joue pas...

     

     

     


     

    Cela commence déjà à la manière d'un jeu vidéo, dans la logique d'une focalisation interne. Une course dans les broussailles, caméra sur l'épaule, pour qu'on y soit, pour qu'on le sente, ce terrain, cette terreur, ce besoin de l'arme, cette frénésie de la lutte. On est dedans, comme on dit qu'on est dans la merde, alors que ce n'est pas exactement vrai : juste une image, une hyperbole. C'est peut-être un jeu vidéo qui prend appui sur  la réalité, un hommage aux analyses de Baudrillard sur le monde actuel. Devant l'hostilité de la nature et du sol, l'avancée haletante de l'humanité qui cherche, comme son ancêtre néanderthalien, à vaincre sa peur et les ténèbres  l'homme s'amuse aux simulacres. Et dans les premières secondes où il le regarde, ce jeu, le spectateur se dit qu'il est bien fait, plus que réaliste, mieux que la réalité. Ce mieux que la réalité est une des caractéristiques de l'époque contemporaine. L'élan vers une virtualité de substitution est un saut dans le vide (au sens de la vacuité) par quoi les individus, jeunes essentiellement, se trouvent une autre/seconde vie.

    Mais cette avancée est celle d'un militaire, d'un vrai militaire, pas un de ceux qui se pavanent dans les ministères, dans les commandements généraux. Le militaire vrai, viril et déterminé à ne pas s'en laisser compter, qui retrouve ses compagnons dans la clairière. C'est une histoire de solidarité, face à l'ennemi invisible. Pourtant, il a un visage jeune, plutôt inoffensif, notre héros en rangers et treillis. Pas la tête d'un baroudeur, barbouze aux traits marqués par des missions difficiles sur des terrains hostiles, à l'étranger. Nous ne sommes pas à Falouja ou à Bagdad, plutôt dans le bocage normand et notre héros juvénile a un air propre sur lui. Il ne s'agit pas de faire peur mais d'évoquer la normalité des gens qui composent l'armée.

    Ce n'est pas un appel, c'est une pub ; pas un cri mais une proposition. Plus encore qu'une proposition : une quasi thérapie... Devenez-vous même. Cet énoncé n'est pas une invite à se découvrir mais une déclaration intempestive posant l'armée comme réalisation de soi. L'institution gomme en partie sa nature coercitive (car sans abnégation et effacement de l'orgueil individuel, le collectif est en danger. L'armée est un corps et le refus d'un de ses membres d'obéir est un cancer potentiel) pour se transformer en un centre d'épanouissement, une quasi confrérie mystique. Cela suppose que dans la partition du civil et du militaire, le premier soit pauvre, prévisible, sans avenir, le second aventurier, inattendu, plein de promesses (ce qui n'est pas rien en temps de crise). Le militaire est un recours salvateur : c'est la vie, la vraie (un peu comme chez Auchan)... Et  l'on se met à rêver (enfin...) à ce Devenez-vous même sous les drapeaux. S'agit-il d'être un homme responsable dans un monde jugé par certains trop laxiste ? d'être enfin un homme, dans un monde qui s'est féminisé ? d'être un être autrement libre, dans un monde qui nous en vend pourtant à la pelle ? La grande muette nous laisse l'embarras du choix.

    Mais dans ces conditions, il a fallu gommer le danger (en faire un jeu), la mort (pas un coup de feu), la raideur (le petit côté scout plutôt que para), et finir sur une image fixe, une sorte de jaquette pour jeu vidéo et une adresse internet, un .com dans l'air du temps. C'est d'ailleurs ce dernier point qui fait sourire, cet air dérisoire d'une armée club de rencontres. On imagine un meetic en uniforme et masculin. On sourit en effet. Pourtant il n'y a rien de drôle. La guerre est loin, vendue comme une virtualité à peine possible.  Votre employeur ne veut que votre bien. Pas de risque, rien que du bonheur. Ce qui importe : votre personne, votre personnalité, votre accomplissement. On joue...



    L'affiche de Flagg était directe. À l'heure de la médiatisation de tous les discours, de la moulinette communicationnelle, elle est impensable. Il faut que tout soit poli, détourné, mis en scène, dans les limites d'un politiquement correct dans laquelle l'opinion publique se complaît jusqu'à la bêtise. Parce que c'est aussi pour elle que l'armée passe par ces clips grotesques. L'opinion publique occidentale veut être protégée, n'aime pas la guerre, et moins encore les morts dans son camp. Elle s'émeut dun moindre mort en Afghanistan ou ailleurs, parce qu'elle a oublié que la mort est inéluctable et qu'elle est le quotidien fracassant de bien des populations. Mais elle ne veut pas voir, ni savoir. Alors, désormais, on brode, on psychologise à outrances et la guerre n'est plus qu'un élément de plus soumis à la stupidité des discours policés, ceux des temps de paix, comme si la paix pouvait être un état perpétuel...


  • Subversion/soumission

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  • Packaging

    En ce jour de Fête du Travail, laquelle est d'ailleurs moins, historiquement parlant, la célébration du travail que la reconnaissance du droit des travailleurs, ceux-ci compris alors comme cette masse exploitée et sans illusions devant le rouleau compresseur du management et des ressources humaines, en ce jour donc qui associe la douceur printanière à l'odeur du muguet, je pense tout à coup que dans un an ce sera le Guignol's band élyséen et puisque il faut alors penser en termes de publicité, je me creuse les méninges pour, moi aussi, croire que je suis aussi intelligent et rusé que Séguéla (sauf que je n'ai pas de Rolex et qu'il me reste peu de temps avant d'avoir raté ma vie...). Je choisis le plus facile.

    Prenons cet homme, cette photo, un peu glamour, tout en séduction

     

    Dominique Strauss-Kahn

     

     

     

     

    Pensons à l'imitation d'une signature. Ce n'est pas très difficile. DSK peut se décliner en référence à ce qui suit


     

    Calvin-Klein-Logo

     

     

     

     

    Du coup, c'est l'idée d'un certain luxe qui domine et les fragrances qu'on y associe ne sont pas celles, fort convenues et prolétaires du muguet, mais celles plus complexes d'un produit design. Pensons à l'emballage. Quelque chose d'un peu brut comme ce qui suit (oui, une forme qui rappellerait qu'il va être le boss...) ferait l'affaire : sobriété, discrétion, efficacité...

    hugo-boss-hugo-1001 Parfums
     

     

     

     

    Mais si nous voulons pour la campagne confondre une affiche avec une pub, pensons à donner un nom au produit. Usons pour cela de l'idée banale : le mélange du proche et du lointain, avec la connotation du retour sur la terre-patrie, comme un sauveur. Et nous voilà comblés :

    NEW YORK # PARIS

     

     

     

     

     

    Ne reste plus qu'à trouver le slogan,  l'inscription, en bas, vers la gauche, sa force tranquille à lui. Mais sur ce point, il n'y a pas beaucoup à se creuser...

      

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

          DSK UN VRAI PARFUM DE DROITE

     

  • Écran total

     

     

     

    C'est un bar dans Greenwich, vers six heures du soir. Bar-pub sans prétention (rien des lounges élégants où, comme dans les films, des cadres sérieux sirotent un whisky). Vous vous installez et commandez une pinte de Brooklyn Lager. Le roulement inégal des discussions (quelques éclats de rire tracent leur sillon) recouvre votre fatigue d'arpenteurs urbains et vous restez silencieux. Ainsi avez-vous le temps de regarder alentour : les gens, le décor, le comptoir... Tout cela s'efface, se dissout devant un autre spectacle. Face à vous, à votre gauche, à votre droite, trois beaux écrans plats bousculent, suspendent comme une ronde de couleurs saisissantes, l'attendue souveraineté de votre repos. Vous avez fui la basse continue de la ville, l'intermezzo régulier des sirènes et vous saviez ce que serait la cascade des voix du pub ; mais vous aviez aussi envie de laisser dehors le clinquant des publicités et l'appel outré des devantures.

    Désormais trois grands panneaux d'images éclatantes et continues. Fruits liquides d'un ailleur immiscé dans la lumière amoindrie de votre présent. Face à vous : la NHL, des hockeyeurs, des blancs, des rouges, dont vous vous rappellerez que les uns sont Américains, les autres Canadiens (Ottawa ? Toronto ? Montréal ?). À droite : la NBA, des basketteurs. C'est déjà l'époque des play-off, et là, vous êtes certains d'avoir identifié le jaune des Lakers. À gauche, un match de base-ball, dont la lenteur, paradoxalement, vous étonne (et auquel vous ne comprendrez jamais rien). Facilement vous êtes saisis. Gestes vifs des passeurs, dribbles, balles lancées, percussions contre la balustrade, ralentis sur un contact, visages en plan serré, regards rageurs, bras qui montent au ciel, buts, temps morts, pubs, rebonds, altercations, entraineurs en furie, parquet qu'on essuie après une glissade, seconde ligne avant qui prend la place de la première, gerbe de glace (au ralenti), plans sur les spectateurs, balle frappée, un gars qui court vers un point que vous ne définissez pas (décidément vous ne comprenez rien), interviews de joueurs, d'entraîneurs, lèvres qui bougent comme des mécaniques vides.

    Car toutes ces images défilent sans le son (le son vient d'une autre source. C'est l'accompagnement musical rock, un peu passéiste : Bruce Springsteen, Bob Seger, Jon Spencer Blues Explosion,...) : elles composent soudain les films muets de notre époque. Vous regardez autour de vous, épiez les attitudes. Personne (si : un ou deux) ne suit un match mais, sans qu'il y paraisse, entre deux gorgées pour apaiser un débat animé ou feutré, l'œil se projette, sort d'ici pour le monde étouffé des écrans plats (parfois un client fait un signe de tête et son compagnon pivote pour suivre une action en replay). Trois écrans, comme les nécessités impérieuses d'un branchement silencieux et vain sur le temps réel (en admettant que ces retransmissions soient en direct, ce que vous n'aurez pas vérifié), dont vous ne savez pas à quel besoin ils répondent : occupation dilettante, peur du vide, habitude, conditionnement. Étrange sensation devant ces gens auxquels on offre le spectacle simultané (choix concurrentiel qui, d'une certaine manière, annule chaque univers, en vérifie l'inanité) d'autres gens gesticulent jusqu'au ridicule, s'expliquant sans qu'on sache ce qu'ils disent (à moins de lire sur les lèvres). Étrange moment que la contemplation de ce monde de sourds, de ce monde aveugle, emporté qu'il est, emportés qu'ils sont, par la peur du silence et de l'écran éteint. Que ce soit du sport n'a ici aucune importance (du moins n'est-ce pas l'essentiel du moment)

    Vous buvez votre bière et ces trois fenêtres, progressivement, rétrécissent votre espace. Lancer-franc, petite friction dans la patinoire, arbitres rayés blanc et noir qui interviennent, balle qui s'élève et course vaine de l'adversaire. Vous fermez juste les yeux en franchissant le seuil et les rouvrez dans la nuit maintenant installée ; vous retrouvez avec plaisir le fracas new yorkais, la simultanéité du son et de l'image, la concordance indispensable de votre corps avec le monde environnant.