usual suspects

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

tag

  • Intra muros

           Pour S.

    J'ai découvert cette vidéo par le biais d'une mienne connaissance, graffeur, writer (1), peintre, à laquelle j'ai déjà eu l'occasion d'expliquer mes réserves sur cet art urbain qu'on appelle imprécisément le tag. Je ne suis pas un adepte de ce mode d'expression, mais la question n'est pas là, si l'on veut bien considérer le travail entrepris par ceux qui ont décidé de s'approprier un lieu désaffecté, comme sait en laisser une société obnubilée par la consommation et l'obsolescence de plus en plus rapide des choses...

    Il s'agit donc d'un parking de grande surface, d'une grande surface qui a rendu l'âme (et c'est évidemment une manière ironique de parler tant ces lieux se déterminent d'abord par leur impersonnalité). Abandonnée, avant que d'être détruite et qu'on y refasse les mêmes horreurs, sans doute, cette friche commerciale a été prise d'assaut par l'imagination colorée et brutale de ces mystérieux combattants des murs blancs, sales, sans propriété. Et plutôt que de laisser la misère du temps gagner la partie, ils ont enfreint la loi, pour la beauté du geste, car il est certain qu'à moins  qu'un coup de dés magnifique ne convertisse ce parking anonyme en territoire de l'Unesco ce qu'ils ont entrepris finira en gravats (ou pire : qu'un repreneur vienne et, devant cette avalanche de couleurs et de formes, s'empresse de tout remettre en ordre : du blanc, du blanc, du blanc...).

    Ainsi jouent-ils des turpitudes d'un monde-ogre... On pourra disserter longuement sur le discours artistique de ces writers, la beauté esthétique de ces géométries, en pourfendre la laideur et les facilités. Peut-être. Mais ces six minutes à toute vitesse, entre les piliers d'un des pires endroits que notre civilisation ait créé en nous faisant croire que là était le sésame d'un bonheur à crédit, ces six minutes en accéléré, on peut aussi les regarder comme une tentative désespérée, non pas de refaire le monde, mais de suspendre sa laideur poussièreuse. Ce n'est pas un acte social mais une question politique ; pas un jeu d'enfant, mais des arabesques sérieuses d'adultes. Lorsqu'on retourne à l'air libre sur le toit de ce délabrement caché, le writer dessine des croix, comme si, effectivement, il fallait bien faire une croix dessus, sur le rêve, sur la liberté de dire non, sur le lendemain, et la caméra saisit à la volée la misère visible des tours immenses, dans une banlieue quelconque, une parmi d'autres...

    La musique est de Phil Glass. Les concepteurs de ce film l'ont rencontré. Il a cédé les droits de ce Opening, extrait du très beau Glassworks, pour cent euros. Trois fois rien Le projet lui plaisait... Un Opening d'une douceur mélancolique idéale pour une odyssée dans un univers dérangeant : celui de notre déchéance à venir...

     

     

    (1)ainsi que se définissent ceux qui ne taguent pas, mais dessinent sur les murs, parce que le tag est une signature. Je n'ai pas envie de commenter ici le choix discutable du mot writer...

     


     






    Les commentaires sont fermés

  • Rabbia e Amore

     Pour Guilhem, indéfectiblement

    Une mienne connaissance revenant d'un court séjour de travail à Rome me raconte qu'il a lu un graffiti politique sur un mur de la Ville : rabbia e amore. La rage et l'amour. Il vit loin de l'Europe, en Afrique de l'Est et ce à quoi il est confronté, nous n'en avons pas la moindre idée, à l'abri de notre quotidien européen (n'excluant pas pourtant que la misère et la violence soient présentes). Rabbia et amore. Cette perspective gaucho-révolutionnaire ne le fait même pas rire, même s'il sait fort bien quels sont les tenants et les aboutissants d'une telle position. Il s'agit sans doute de revendiquer une autre société, de mettre en jeu les iniquités du monde, de se gonfler de la droite exigence de la justice, et pour cela, il serait nécessaire d'invoquer la légitime colère. Et cette légitime colère le dérange, comme moteur politique s'entend, non dans sa dimension éthique.

    Car cette légitime colère qui se transforme, selon les moments, en une revanche cruelle d'une communauté sur une autre, d'un clan sur un autre, d'une famille sur d'autres, il a l'occasion d'en voir les effets désastreux lorsqu'elle se pare de mépris et de bon droit, au nom des humiliés d'avant. La rage, au-delà de la colère vue comme mauvaise conseillère, n'est ni un programme ni un regard réel sur le monde mais un aveuglement. Ceux qui l'invoquent en sont encore à croire que la politique ne se fait qu'avec des (bons) sentiments. Et dans cet ordre, l'amour n'est pas mieux. Que signifie-t-il en effet en politique ? Est-ce un prolongement à tous des liens qui nous unissent à quelques-uns ? S'agit-il d'éradiquer, de bannir ou d'interdire cette singularité de la vie qui fait que nous restons parfois interdits ou réticents, presque d'instinct, à autrui ?

    Il y a dans ce rabbia e amore un fond de romantisme politique un peu dérisoire alors que c'est de rationalité que le monde a besoin. Le pouvoir, pour qu'il dure et soit le moins nuisible possible, se doit de garder la tête froide. Cela n'a rien à voir avec la real politik ou le cynisme machiavélien mais concerne le devoir indissociable de l'exercice des responsabilités d'évacuer l'immédiat de la vindicte et de la justice expéditive. Le tag romain est en soi une humeur, et les humeurs sont avant tout les prétextes à transformer la justice en injustice, le raisonnable en arbitraire. Ce sont proprement les déjections de la pensée.

    On s'est parfois étonné qu'après les horreurs du Rwuanda les bourreaux et les survivants aient pu cohabiter, comme auparavant les populations khmer, yougoslave, les résistants et les collabos. Souvent, d'ailleurs, nous qui avons vécu depuis longtemps en ce milieu si tempéré y allons de notre couplet moralisant, parce que nous usons de la rage d'une manière somme toute abstraite et ce que nous ne comprenons pas est là, justement : dans le fait qu'elle ne peut être une réponse à celle qui l'a précédée. Rabbia e amore sonne comme ces ridicules revendications adolescentes venues directement de la grotesque poésie soixante-huitarde : d'il est interdit d'interdire à lycée = prison. La liberté de la formule, sa poétique en forme de slogan sont des illusions, et des illusions parfois funestes. Elle n'est d'ailleurs que l'inversion un peu simple d'un film à sketchs (genre très en vogue dans les années 60) où se commit, entre autres Godard, Amore e rabbia.

    Le gauchisme romain qui nous promet d'abord la violence en prévision de relations tout en douceur est aussi inquiétant que les graffitis fascistes  et racistes qu'on lit parfois dans cette ville (notamment quand des supporters de la Lazio ont voulu montrer qu'ils étaient alphabétisés)

    La rabbia est une aporie et ce tag me rappelle alors ce livre virtuose d'Alessandro Baricco dont le titre français, Les Châteaux de la colère, manque l'essentiel du titre italien. I Castelli di rabbia, que le lecteur déchiffre aussi en I Castelli di sabbia. La rage, comme du sable en devenir. Châteaux de sable... Vision immature de la politique, pour finir, sans doute, comme bien des trotskystes ou des anciens jeunes de l'extrême-droite, plus tard, dans les ors ministériels du confort bourgeois libéral, loin de ce que cette mienne connaissance, si chère et précieuse, connaît, lui, dans les zones dangereuses du Darfour...

     

     

     

     

  • Subversion/soumission

    publicité,nike,commercialisation de l'espace,politique,branding,swoosh,contestation,11 septembre,tag