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société du spectacle

  • Un cauchemar américain

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    Nous serons beaux et ensoleillés, embaumeurs peu subtils du temps mais d'une conviction redoutable.

    Nous aurons gardé une part de notre vitalité : moins un enthousiasme vivant qu'un art de la démonstration. 

    Nous aurons l'âme des propriétaires achevés. Œil inquisiteur sur ce qui passe et geste rude de celui dont on s'éloigne et rit, sans même trop de méchanceté.

    Nous croirons éternellement en nos chances, à nos dernières Asics, au vodka Red Bull, à notre Chevrolet, et au hasard, ce hasard qui ne vient plus...

    Nous aimerons la guerre lointaine, pour compenser, et les parades barbares ; nous regarderons Apocalypse Now, larme à la joue, en contresens, en trouvant géniale la musique sur la volée d'hélicoptères. Nous penserons que tout peut se réduire à une plage, peu ou prou, qu'il faudrait que tout finisse ainsi : sur une plage, tranquillement, ici ou ailleurs, et qu'ailleurs soit comme ici...

    Nous aurons des résidences fermées et les routes, longues et droites, ne feront pas de bruit. 

    Nous aurons tous le béguin pour Samantha Fox et il n'y aura rien au-dessus de Robert Parker.

    Nous aimerons nos mélanomes comme nous-mêmes et les chicken wings à la sauce de feu...

     

    Photo : Carl De Keyzer

  • Arrêt sur image

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    Pense la montre, à la course contre la montre. Pense au mouvement brownien. Le Cut up incessant de l'attention (et William Burroughs doit se marrer désormais). Pense au monde UPS ou FedExpress. Garder le rythme du retour sur investissement. Pense aux clips, à la vie façon Brian de Palma. Pense à plus de ving-quatre images par seconde. Pense à une campagne présidentielle, ou autre : tout est campagne. Virale, sanitaire, publicitaire, commerciale, morale. Pense à l'agitation de ton portable. Tes mails. Au joignable immédiat, incessant. Pense à l'obsolescence toujours plus grande des choses. Et des êtres, aussi, l'obsolescence des êtres. Pense au balayage de l'info. À la mode. Aux horaires (qui ont remplacé le temps). Pense au direct. À l'action. Être toujours en action.

     

    Et maintenant, c'est un plan fixe, une caméra fixe et des voix off qui radotent. Un plan fixe qui tourne à la pétrification sordide, comme un Tarkovski décervelé, le plan fixe d'un immeuble où est retranché un homme. Peu importe cet homme : il est mort, déjà mort. Il n'a aucune importance mais il a tout à coup une nécessité. Il n'a pas besoin d'avoir un visage (on s'en occupera après), ni une vie (on la reconstruira ensuite). Il est juste là, à sa place, comme cristallisation du plan fixe, que l'on fait durer des heures. Dix heures. Quinze heures. Vingt heures. Trente heures. Il ne menace plus personne mais il faut un plan fixe, un plan qui nous fixe, sans que nous soyons vraiment fixés, justement, sur la véracité et l'inévitable de ce plan fixe. Et nous fixons notre attention sur ce plan fixe et ces voix qui radotent,

     

    pendant que le monde continue sa course, se fixe, dans d'autres bâtiments, plus chics, plus feutrés, où l'on n'enquête jamais, des objectifs, qui nous ont, nous, en ligne de mire...

     

     

     

                                                                     Photo : Jorge Dan Lopez /Reuters

  • bruits et spots

     

     

    Repensant (pourquoi ? Jeu claudiquant de la mémoire...) à la dérive festive qui aura en fort peu de temps amener la fête de Marie de la capitale des Gaules (laquelle offre, de capitale, à son archevêque d'être, catholiquement parlant, primus inter pares) à n'être plus qu'une énergique et intempestive Fête des Lumières lyonnaise, l'adjectif lyonnaise n'étant plus qu'un élément de localisation secondaire dans le symbole, essentiel dans le marketing, repensant à ceux qui se désolent de cette situation, tu t'es rappelé qu'il y a près de trente ans tu étais entré dans San Anastasia, à Vérone, sanctuaire plus sombre que jamais tant il pleuvait, sans que tu  y pusses admirer tableaux, statues et architecture, car il était précisé en substance, à l'entrée, qu'éclairage il n'y avait pas parce que c'était d'abord un lieu de culte. De toute manière, le gothique devait suffire à pourvoir l'endroit d'une autre lumière...

    La désertion avait pourtant déjà bien frappé la catholicité (du moins en Europe) et les églises entamaient leur lente conversion muséale. Entamer n'est sans doute pas le mot adéquat puisque déjà, en 1904, dans La Mort des cathédrales, dans la même inquiétude que Barrès, Proust écrivait :

    "[...] les églises pourront être, et seront souvent désaffectées ; le gouvernement non seulement ne subventionnera plus la célébration des cérémonies rituelles dans les églises, mais pourra les transformer en tout ce qui lui plaira : musée, salle de conférence ou casino"

    La catastrophe est fort lointaine, mais cette paroisse de Vérone s'y refusait, visiblement. Tu n'en pris nul ombrage. C'était ainsi. Tu y es retourné depuis et les choses ont changé. Il le faut, dira la doxa. Rien ne peut ni ne doit demeurer en l'état. Mais de quel état s'agit-il ? Il est clair que lorsque de croyants il n'y a plus, et avec leur disparition l'abandon intellectuel d'une signification, il ne reste plus que la muséification totale ou partielle des lieux. Et d'en faire des coquilles vides.

    Ou de les rendre plus attrayantes, plus chatoyantes, pour que la foi soit plus tendance, avec l'espoir que sur les cohortes de badauds quelques-uns trouvent dans ces lampions son chemin de Damas. Dès lors, on sonorise le silence, on sculpte aux projecteurs le gothique ou le roman, on scénarise pour l'intégrer à l'espace urbain le sacré (ce qui est, étymologiquement, une absurdité), on habille la sévérité. Et tout cela dans une odeur de gras et un brouhaha indicible (parce que désormais où que l'on aille, tout finit dans la friture et les décibels).

    Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres (voir Assise et mourir, dans un autre genre...), mais si révélateur de ce brouillage qui, aujourd'hui, transforme le mystère du temps en événement. Le monde contemporain hait le silence et l'ombre. Un siècle et demi de progrès dans les domaines du son et de l'éclairage a débouché sur la perpétuelle présence du bruit et de l'ampoule. Les villes dans lesquelles nous demeurons ne connaissent plus le noir absolu de la campagne et les fantasmagories qu'il nourrit. Tout doit être au grand jour (et à jour, c'est-à-dire remis au goût du jour), parce que c'est ainsi que, valorisé, le passé peut survivre, être acceptable, passé devenant par là même un avatar monstrueux du présent sur lequel on le cale, calage comme on dit d'un reportage que l'on va diffuser, et que l'on oubliera aussitôt.

    La transparence et le visible sont devenus les maîtres-mots d'un univers qui hait la mémoire, sinon pour en faire un jeu de cirque. Ils n'ont plus rien à voir avec une certaine aspiration intellectuelle qui fit son œuvre jusqu'au milieu du XXe siècle. Ils ne sont plus les lignes directrices de la connaissance mais les signes les plus détournés qui soient, pour une société entraînée vers l'oubli. Car la fête et la mise en scène patrimoniale en sont des formes monstrueuses. Elles ne sont pas le signe de la vérité comme suppression de l'oubli (selon le sens grec de l'alètheia) mais l'évidement spectaculaire du sens qu'on voudrait chercher, justement, dans cette vérité. Et, à ce titre, l'église -l'édifice- en support luminaire est un des plus beaux exemplaires de la défaite de la pensée...

  • Corpus Christi

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    Chuck Palahniuk est un écrivain à l'imagination fertile, débordante et certains doivent le penser ainsi : névrotique. Il a en tout cas une manière radicale d'approcher les terreurs contemporaines. Mais il faut l'écrire, n'en déplaise à la belle Europe :  il y a quelques auteurs américains qui ont  ainsi l'œil incisif :  Thomas Pynchon, Don DeLillo, Brett Easton Ellis, Wiiliam T Volmann, le regretté Tristan Egolf, et donc Palahniuk. Le héros du Survivant a devant lui une carrière d'icône évangéliste toute tracée. Encore faut-il qu'il ait, selon son agent, un poids de forme qui puisse correspondre à l'emploi, ou à  l'idée qu'on s'en fait. De là une séance sur une machine à escaliers. Tout un poème qui lui inspire quelques réflexions. En guise de lendemain de Noël...

    "Vous vous rendez compte qu'il ne sert à rien de fait quoi que ce soit si personne ne regarde.

    Vous vous demandez : s'il y avait un faible taux de participation à la crucifixion, auraient-ils reprogrammé l'événement ?

    Vous vous rendez compte que l'agent avait raison. Vous n'avez jamais vu un crucifix avec un Jésus qui n'était pas presque nu. Vous n'avez jamais vu un Jésus gras. Ou un Jésus poilu. Tous les crucifix que vous avez vus, le Jésus en question, il aurait pu tout aussi bien se montrer torse nu et faire de la pub pour des jeans de grande marque ou une eau de toilette de renom.

    La vie est exactement comme a dit l'agent. Vous vous rendez compte que si personne ne regarde, autant rester à la maison. À vous tripoter. À regarder la télé.

    C'est aux environs du cent dixième étage que vous vous rendez compte que si vous n'êtes pas sur vidéo ou, mieux encore, en direct satellite avec le monde entier qui regarde, vous n'existez pas.

    C'est vous, cet arbre qui dégringole de la forêt, et dont personne n'a rien à branler.

    Aucune importance que vous fassiez quelque chose ou pas. Si personne ne remarque rien, votre vie, toutes ressources cumulées, équivaudra à un gros zéro. Nada. Que dalle."

  • Packaging

    En ce jour de Fête du Travail, laquelle est d'ailleurs moins, historiquement parlant, la célébration du travail que la reconnaissance du droit des travailleurs, ceux-ci compris alors comme cette masse exploitée et sans illusions devant le rouleau compresseur du management et des ressources humaines, en ce jour donc qui associe la douceur printanière à l'odeur du muguet, je pense tout à coup que dans un an ce sera le Guignol's band élyséen et puisque il faut alors penser en termes de publicité, je me creuse les méninges pour, moi aussi, croire que je suis aussi intelligent et rusé que Séguéla (sauf que je n'ai pas de Rolex et qu'il me reste peu de temps avant d'avoir raté ma vie...). Je choisis le plus facile.

    Prenons cet homme, cette photo, un peu glamour, tout en séduction

     

    Dominique Strauss-Kahn

     

     

     

     

    Pensons à l'imitation d'une signature. Ce n'est pas très difficile. DSK peut se décliner en référence à ce qui suit


     

    Calvin-Klein-Logo

     

     

     

     

    Du coup, c'est l'idée d'un certain luxe qui domine et les fragrances qu'on y associe ne sont pas celles, fort convenues et prolétaires du muguet, mais celles plus complexes d'un produit design. Pensons à l'emballage. Quelque chose d'un peu brut comme ce qui suit (oui, une forme qui rappellerait qu'il va être le boss...) ferait l'affaire : sobriété, discrétion, efficacité...

    hugo-boss-hugo-1001 Parfums
     

     

     

     

    Mais si nous voulons pour la campagne confondre une affiche avec une pub, pensons à donner un nom au produit. Usons pour cela de l'idée banale : le mélange du proche et du lointain, avec la connotation du retour sur la terre-patrie, comme un sauveur. Et nous voilà comblés :

    NEW YORK # PARIS

     

     

     

     

     

    Ne reste plus qu'à trouver le slogan,  l'inscription, en bas, vers la gauche, sa force tranquille à lui. Mais sur ce point, il n'y a pas beaucoup à se creuser...

      

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

          DSK UN VRAI PARFUM DE DROITE

     

  • Élisabeth et moi

     

    En début de semaine, Le Monde.fr annonçait qu’Elisabeth II ouvrait sa page sur Face-de-Bouc. Ainsi, une phrase comme : « et moi, je suis l’ami(e) de la reine d’Angleterre, peut-être ! » (avec un accent parisien, genre Arletty ou Françoise Rosay), une telle phrase passe-t-elle de la fiction à la réalité… Quelle grandeur que la démocratisation technologique ! Cela vous donnerait presque l’envie d’avoir, vous aussi, votre page… d'être comme tout le monde, du plus modeste des individus à la plus royale des têtes. Presque…

    J'avoue que j'ai hésité, parce que si Face-de-bouc peut avoir une utilité, être véritablement un réseau social, relier les hommes aux hommes (comme le disait il y a quelques années une pub France-Telecom), elle doit être celle-ci : abolir la distance physique et briser les barrières sociales pour que, dans un même élan, nous nous retrouvions et que l'aspiration égalitaire se concrétise enfin. La simplicité royale me semblait un signe de ce chemin politique accompli par les puissants pour être accessible. L'entreprise en soi n'est pas si nouvelle. De Giscard d'Estaing et ses repas chez l'habitant à Sarkozy et son phrasé banlieue, il y aura eu bien des mises en scène de la proximité politique pour leurrer le vulgus. Avec la reine d'Angleterre en possible chat (direct live...), on franchit un pas supplémentaire. Le saut est qualitatif.

    L'hésitation à m'inscrire a duré le temps que monte l'angoisse, laquelle a procédé des contraintes soudainement sensibles de ce qu'on appelle le protocole, les manières. La presse s'étant déjà offusquée de la familiarité chiraquienne, il y a quelques années, j'ai compris que la forme serait au cœur du contact. Si je demandais à Elisabeth II d'être mon amie, et en admettant qu'elle acceptât une si modeste origine de la part du requérant, il me faudrait trouver ensuite la bonne distance, le ton juste. Rien n'est simple en la matière, car on est pris en tenailles entre le désir d'une relative convivialité (mot à la mode s'il en est) et le souci de la bonne éducation. Mais peut-on parler avec toute la retenue de la tradition à une amie ? Ne peut-on pas y introduire un soupçon de souplesse, une liberté linguistique qui n'entacherait pas le respect qu'on lui doit ? Commencer chaque échange par "Her Majesty..." finit par être lassant et amoindrit l'élan amical : une telle rigueur vous ferait même douter de la validité du mot "ami"/"friend" choisi par Face-de-Bouc. Je trouve qu'Élisabeth est un beau prénom, mais plutôt long à écrire. Seulement, je me demandais si elle accepterait un diminutif et lequel. "Liz" : impossible, parce qu'il n'y en a qu'une et c'est la Taylor. Idem pour "Beth", avec la Davis. "Babette", peut-être. "Eli", j'aime beaucoup, bien que cela sonne étrangement masculin. Cette question, toute bête, toute simple, n'était, je le sentais, que les prémices d'une relation compliquée entre Élisabeth et moi.

    Néanmoins je persistais dans ma réflexion et laissais de côté les questions protocolaires pour m'attaquer au fond : de quoi notre amitié serait-elle nourrie ? Sur quoi pourrais-je m'appuyer pour que chaque soir tous les deux jours chaque semaine chaque quinzaine nous nous retrouvions sur Face-de-Bouc ? J'avais vu quelques connaissances lancées dans de grandes discussions sur leur réseau : interrogations existentielles sur ce qu'il fallait amener pour la soirée de X, les bruits autour d'une heureuse conclusion entre A et B, des "ce soir, c'est couette. Trop crevé", etc. J'en passe et des meilleures. Fallait-il imaginer que mes rencontres avec Eli (je viens de me décider : ce serait Éli) atteignissent ce degré de familiarité, cette quotidienneté élevée au rang de philosophie vivante ? Était-il possible que nos deux univers, sans qu'ils se rencontrassent jamais, pussent se nourrir du banal ? Encore que, de son côté, cela devait être autrement plus varié. Des gens forts différents, j'en connais, mais devant l'éventail de ses possibles  à elle, un léger sentiment de faiblesse s'emparait de moi.

    Mais, me dis-je, dans un grand souffle optimiste, elle attend peut-être cela, de son inscription à Face-de-Bouc : qu'un modeste quidam lui raconte la vie du peuple. il y aurait alors, qui sait ?, une justification sociale à mes petites humeurs, à mes angoisses, à mes joies, à mes peines, à ma sociabilité commune, à mes goûts, à mes talents (et, rêvons un peu : elle ferait de la crêpe au caramel-beurre salé -au sel de Guérande !- un dessert obligé de Buckingham Palace) : celle de lui faire connaître une autre partie du monde. Je serais l'exotique correspondant d'une reine qui a fini par vouloir échapper à son palais (ce qui, ainsi présenté, est plus reluisant qu'une vieille femme rongée par l'ennui). Et je lui dirais que j'ai des amitiés qui valent le coup. Elles ne parlent pas toutes l'anglais. Qu'importe. Je les lui présenterais. On s'enverrait des photos marrantes ; on ferait des concours de grimaces ; on se raconterait nos vacances. On se ferait un réseau super fun. On aurait une vie commune. Un conte de fées moderne (en tout bien tout honneur, évidemment).

    Mon enthousiasme n'a pas duré. Je sentais que quelque chose clochait et c'était cela : si Paul, Jacques ou Marie avaient déjà sur leur mur respectif trois cents, quatre cents, huit cents amis (si j'en crois ce que me disent des copains, il y a des concours à ce niveau...), Éli les comptabiliserait par milliers, par millions et je serais noyé dans la masse ! Vanité du médiocre qu'on ne choisit pas, de l'enfant famille nombreuse qui voudrait être fils unique.

    Il y avait donc entourloupe. Cette descente dans le labyrinthe des réseaux sociaux était une tromperie, un effet de com... Alors, plutôt que de faire les choses à moitié, j'ai renoncé, trouvant toutes les mauvaises excuses du monde (et parfois, elles n'étaient pas glorieuses) pour justifier ma décision. Pas de reine pour moi tout seul, alors pas de Face-de-Bouc. Chacun ses caprices et ses enfantillages.