usual suspects

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

responsabilité

  • L'arbre et la forêt (suite)

    politique,cahuzac,gud,extrême-droite,finance,parti socialiste,gouvernement,hollande,ayrault,responsabilité

    Je raconte à une mienne connaissance qui est dans le droit comme on dit les belles amitiés extrême-droitières du maçon rose Cahuzac. Des amis, vraiment ? me dit-elle. J'évoque la SCI des affaires péruviennes et aussitôt son œil s'illumine. Des amis, aucun doute. Et d'embrayer. La SCI (société civile d'investissement) est une structure où l'individu s'engage intuitu personae. C'est-à-dire ? Un engagement où elle se porte garant des dettes de ceux avec qui il contracte. En clair, une prise de risque conséquente qu'on ne fait qu'avec des liens de confiance. C'est, ajoute-t-elle, la forme privilégié dans des engagements de couples ou de familles. Pas le genre de chose que tu fais avec des rencontres fortuites ou de vagues connaissances. Elle conclut : Cahuzac, les gudards, c'était des potes, des vrais, des purs, des durs...


    Photo : X

     

  • Facile, trop facile...

     

    Nous en étions restés à cette idée peut-être simpliste que les responsabilités vous endurcissent, ou, pour le moins, qu'elles vous obligent parfois, la mort dans l'âme (mais ce n'est qu'une métaphore...), à faire ce que vous n'auriez pas voulu faire.

    Et de se dire qu'inéluctablement, assumer une fonction revient à se retirer en partie de soi-même, à se conformer à cette affiche un peu statufiée qu'on définit comme la représentation. D'une certaine manière, cela s'appelle la dignité. Cette dignité doit avoir, parfois, les allures du masque. C'est ainsi que le théâtre, le vrai, tragique et terriblement humain, prend son sens, dans ce qui est caché, retenu, aboli de l'être qui parle et qui agit..

    Mais, dans ce qu'il faut bien appeler une mise à disposition publique de tous les signes de l'humanité, les larmes ont pris une place de choix et l'homme dont on dit qu'il est le plus puissant du monde (si l'on veut admettre que la politique nucléaire état-unisien n'est pas, par exemple, un pouvoir sans conséquences...) n'aura pas ménagé ses effets durant ces deux derniers mois.

    1)

     

    barack obama,états-unis,larmes,politqiue,sensibilité,spectacle,obscénité. guerre,afghanistan,responsabilité

    Nous sommes dans le Wisconsin, début novembre. C'est son dernier meeting. Il est crevé, épuisé d'aller à coups de millions de dollars aux quatre coins du pays pour mettre une rouste au mormon. Il a les nerfs à vif sans doute, le corps qui rend l'âme et l'impression que l'affaire est bien partie. Mais c'est ainsi : une sorte de post coitum animal triste. Il va remettre le couvert et la bonne surprise de 2008 devient une confirmation. Il pleure. Sur ses efforts ? Sur l'improbable ? Sur ceux qu'il a déçus et qui rendront sa victoire moins large ? Sur sa gloire qui va prendre du galon ?

    2)

     

    barack obama,états-unis,larmes,politqiue,sensibilité,spectacle,obscénité. guerre,afghanistan,responsabilité

     

    Nous sommes à son QG, début novembre. Il est avec son équipe. Il est le capitaine triomphant qui vient rendre hommage au cercle restreint de ceux qui n'ont pas dormi, qui ont donné corps et âme. Il leur doit une fière chandelle. Il a l'air d'un lycéen, nouvellement bachelier, dont le destin l'emmène loin de sa famille, des amis, de ses potes, de son quartier. Il boucle une aventure : le côté boy-scout, c'est fini. Lundi, c'est retour au  bureau. Moins excitant, moins d'adréaline. À en avoir des frissons dans le dos.


    3)

     

    le-president-obama-tres-emu-pendant-son-allocutaion-apres-le-drame-photo-afp.jpg

    Il est à la Maison Blanche. Nous sommes à la mi-décembre. 26 morts à Newtown, soit, en une fois, la moyenne journalière américaine des morts par arme à feu. Une sorte de packaging instantané, en somme. Il évoque des mômes abattus sèchement qui auraient fait de bons petit(e)s américain(e)s. Pour eux, c'est fini : ni corps, ni âme. Il pleure. Il est père. Il imagine. Il est humain. Il est président et comme il l'a dit pendant la campagne, en réponse à une question qui lui était posée, qu'il croyait au deuxième amendement autorisant chacun à être armé. Mais ce n'est rien. Il est ému. Ça se voit, ça doit se voir.

    Ces émotions répétées, dans des contextes et pour des raisons fort divers, ont quelque chose de grotesque. Elles mélangent la fébrilité d'une réussite conditionnée par l'argent (la campagne d'Obama, c'est un milliard de dollars), l'émotivité du sportif qui décroche la timbale, le pathos facile de l'impuissance politique, la compassion qui vous dédouane de tout. On aimerait qu'il ait les larmes aussi abondantes sur la misère que répand la politique américaine à travers le monde, sur les horreurs économiques dont usent les grands groupes de son pays pour satisfaire des actionnaires encore plus voraces, qu'il sorte son Kleenex à chaque bombe explosant à Bagdad ou ailleurs. Mais à ce train-là, je crains qu'il ne puisse pas beaucoup travailler et que la déshydratation le guette.

    Certains diront qu'il est humain, que ce n'est pas Bush, lui. Bien sûr... Ce n'est que "l'obscénité démocratique" que dénonce Régis Debray dans un court essai (1) ainsi intitulé et qui parut en 2007 et dont j'extrais les phrases suivantes :

    "Obscène, en termes techniques, est le forum dont la dramaturgie se met à obéir à la télécratie. Ou qui passe, plus précisément, du plan large au gros plan qui vient fouiller le visage, la larme au coin de l'œil, le baiser sur la bouche et le petit dernier -au cours d'un cérémonial officiel". 



    Régis Debray, L'obscénité démocratique, Flammarion, "Café Voltaire", 2007.

  • Qui tue ?

    Judith et Holopherne (1598), Palais Barberini

    J'ai déjà évoqué sur ce blog des œuvres du Caravage, et d'abord, à mes yeux, le plus beau tableau du monde. Pour l'une d'entre elles il était question d'une décapitation ; pour celle qui m'occupe aujourd'hui, le peintre met en scène le meurtre en cours. Judith est une jeune femme, veuve de Manassé, qui, pour libérer son peuple de la tyrannie d'Holopherne, tue ce dernier. Le sujet sera traité à de nombreuses reprises par les peintres. Ce n'est pas, là encore, le tableau le plus réussi de l'artiste. Le jet de sang est maladroit, le corps tout en torsion de la victime est un peu lourd, les avant-bras de Judith, certes guerriers, ont quelque chose de masculin. On a l'impression que le tableau, dans un découpage vertical et médian, oppose le côté gauche et le côté droit et que plus nous nous déplaçons vers la droite justement plus il est accompli. Que cache ce visage presque de candeur horrifiée de Judith ? Que peuvent signifier ces tétons pointant sous l'habit ? Il y a comme un trouble autour de la meurtrière qui représente déjà une énigme. Mais la puissance de Caravage est ailleurs, dans un troisième personnage qui n'est pourtant, en apparence, que secondaire. Qui est-elle, cette vieille, sur laquelle notre attention se fixe progressivement jusqu'à devenir le centre d'une question tournant autour du sujet peint ?

    Pour éclaircir notre propos, il faut revenir à l'écrit qui sert de point d'appui à cette représentation. Le texte biblique, dans la traduction des éditions du Cerf, dit ceci :

    « Quand il se fit tard, ses officiers se hâtèrent de partir. Bagoas ferma la tente de l'extérieur, après avoir éconduit d'auprès de son maître ceux qui s'y trouvaient encore. Ils allèrent se coucher, fatigués par l'excès de boisson, et Judith fut laissée seule dans la tente avec Holopherne effondré sur son lit, noyé dans le vin. Judith dit alors à sa servante de se tenir dehors, près de la chambre à coucher, et d'attendre sa sortie comme elle le faisait chaque jour. Elle avait d'ailleurs eu soin de dire qu'elle sortirait pour sa prière et avait parlé dans le même sens à Bagoas. (Jdt, 13, 1-3)

    [...] Elle s'avança alors vers la traverse du lit proche de la tête d'Holopherne, en détacha son cimeterre, puis s'approchant de la couche elle saisit la chevelure de l'homme et dit : « Rendez-moi forte en ce jour, Seigneur, Dieu d'Israël ! » Par deux fois elle le frappa au cou, de toute sa force, et détâcha la tête. Elle fit ensuite rouler le corps loin du lit et enleva la draperie des colonnes. Peu après elle sortit et donna la tête d'Holopherne à sa servante, qui la mit dans la besace à vivre, et toutes deux sortirent du camp comme elles avaient coutume de le faire pour aller prier. » (Jdt, 13, 6-10)

    Le fait marquant est que cette vieille est la servante de Judith. Soit. Mais il est entendu que lors de l'accomplissement du meurtre, elle est absente. C'est donc une entorse au respect textuel que de la faire figurer. Cette liberté caravagesque n'est pas anodine parce que ce visage ne nous est pas inconnu. Il a de toute évidence une certaine parenté avec celui d'une autre vieille, bien plus prestigieuse, peinte à côté de la Madone des Palefreniers, œuvre exposée à la Villa Borghese. Il s'agit alors de voir Jésus enfant écrasant, avec l'aide de sa mère, une serpent malin. Dans les deux cas, ces personnages assistent donc à un acte de violence à la fois réel et symbolique. Dans les deux cas, s'ils n'y participent pas directement, ils en sont les spectateurs particuliers, des témoins jugés nécessaires. Pour revenir à Judith, ce qui saisit procède de deux éléments marquant la tension qui habite la vieille. Les traits sont crispés, la mâchoire ferme, l'œil avide. Si elle ne tient pas le cimeterre assassin, c'est tout comme. À l'effarement de la jeune femme répond, dans un processus de susbtitution, la volonté affichée de la servante. À la jeunesse douce de Judith répond le grand âge buriné de la suivante. Il y a en elle une volonté farouche, une détermination stupéfiante qui inquiète. Il faut alors regarder ses mains serrant fort le tissu de son vêtement. Les poings ne sont, semble-t-il, que le premier moment de la jouissance en elle. Ce qu'elle tient, et qui n'est qu'un substitut de l'objet réellement désiré, est encore dans la retenue de la victoire qui va advenir ; mais l'on devine qu'à l'heure de la tête totalement tranchée, les poings s'écarteront et le tissu sera tendu, tendu et raide comme une lame de cimeterre (quoique ce ne soit pas exact puisque celle-ci est courbe). La vieille aura, autant que Judith, obtenu gain de cause.

    C'est à ce titre que ce tableau intrigue (ou, pour être juste, qu'il m'intrigue). L'écart avec le texte biblique explore la question du discours de la vengeance et celui de la responsabilité. Ce désir de peindre un second couteau avec une telle précision, avec le souci de la styliser plus que les deux acteurs annoncés et connus de l'histoire, donne à penser qu'elle est une nécessité du tableau, et pourquoi pas sa finalité. L'histoire n'est donc plus un règlement à deux, un affrontement, qui peut servir dans une perspective d'analyse psychologique ainsi qu'elle est (en partie) réinvestie par un Michel Leiris dans L'âge d'homme, mais un jeu à trois. Une triangulation qui n'est pas exactement de même nature que celles qui ont servi à Freud ou à René Girard mais qui s'en rapproche. Plus je contemple ce tableau et plus je m'interroge : qui sert qui ? Qui est au service de qui ? La vieille récupéra la tête d'Holopherne, soit. Elle n'a rien fait. Simple complice. Mais est-ce vraiment le sens du dess(e)in de Caravage ? Ne suggère-t-il pas que Judith n'est rien moins que l'instrument d'une volonté qui excède sa seule personne (et pas simplement parce que dans le texte biblique, elle est aux ordres de son dieu), et que celle qui veut vraiment, dont l'âme est ardente, est l'inconnue à ses côtés. Dès lors, cette œuvre explore discrètement la question de la responsabilité, le jeu entre suggestion et sujétion. Caravage ne peint pas ce sujet dans la perspective d'une simple illustration biblique. Il introduit une dramatisation en relation avec l'émergence d'une société où la question de la part dévolue au choix de chacun est grandissante. Ce qui est acte -ici, le meurtre- n'est peut-être pas compréhensible sans le regard que l'on porte sur ce qui entoure son effectuation. Il ne s'agit pas de s'en tenir à la seule démarcation stylistique d'un réalisme mis sur le devant de la scène (et la vieille est, en effet, très en avant) mais d'évoquer ce qui se trame aussi avant la scène, hors de la scène. Et la plus forte des deux femmes, du moins la plus importante dans la projection que l'on peut faire de ce tableau sur la détermination des individus à agir ou non, n'est pas celle que l'on croit.