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geismar

  • 22 mai 1968, trois heures de l'après-midi

    En 1978, Le Monde revient à sa manière sur cette belle aventure que fut mai 68, cette épopée politique qu'on a vendu comme une révolution qui aurait pu réussir. C'est l'occasion d'aller s'enquérir du devenir des trois fers de lance de la contestation étudiante.

    Michel Sidhom s'en va ainsi interroger Jacques Sauvageot qui enseigne à l'École des Beaux-Arts de Nantes (où il restera jusqu'en 2009). On sent chez lui une forme de désillusion. «Le problème est de savoir comment, en dehors des réformistes ou des tentatives pour " changer la vie " chacun dans son coin, créer une alternative politique révolutionnaire qui réalise la conjonction des différentes forces de contestation, mouvement des femmes, écologique, anti-nucléaire, etc, avec la radicalisation apparue dans de larges couches du mouvement ouvrier populaire. Ce n'est pas facile, mais il ne faut pas oublier qu'en 1968 le mouvement révolutionnaire était inexistant.» Il n'y a pas de reniement, mais la prise en compte d'une situation bloquée que les événements auxquels il a participé n'ont pas résolue. Plutôt mis en lumière. Sa position, qu'on soit pour ou contre, mérite le respect et s'éclaire sans doute sur le commentaire qu'il fait de ses relations avec les deux autres figures majeures : il ne les a pas revus. «La photo où on nous voit tous les trois lever le poing était de circonstance, nous n'avions pas d'affinités particulières et nous n'avons pas de réunions d'anciens combattants.» il n'est pas d'ailleurs, des trois, celui dont le nom est passé à la postérité (ceci dit avec un peu d'ironie).

    Bertrand Le Gendre est lui allé rendre visite à Alain Geismar qui reconnaît l'échec du mouvement, avec un aveu qui fait un peu sourire : «C'est vrai que, dix ans après, le mouvement de Mai n'a pas eu de débouchés politiques Mais avec ce qu'on avait dans la tête à l'époque, cela vaut peut-être mieux. On voit ce que donne la pureté révolutionnaire des Khmers rouges. La richesse de Mai, c'est qu'il n'y a pas eu de solutions immédiates, mais que le mouvement s'est diffusé dans la société.» Y aurait-il eu de l'apprenti dictateur chez le garçon ? La comparaison avec les Khmers rouges de Pol Pot est assez sublime. Et de continuer pour expliquer l'échec du mouvement : «Il nous manquait l'idée de ce que pouvait être une autre société. On chantait l'Internationale, on défilait, drapeaux rouges et noirs en tête. Mais, même les "anar" continuaient à tenir le vieux discours léniniste ; ce ne sont pas les étudiants qui feront la révolution, mais la classe ouvrière et paysanne. Malgré notre pratique, notre discours était vieux.» On sent qu'il ne veut pas décrocher (la fidélité à la jeunesse sans doute) mais le procès fait aux anars sent le retournement à cent mètres. Il va encore mettre quelques années pour aller au bout de cette logique. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne fait pas alors les choses à moitié. En 1986, le voici inspecteur général de l'Éducation nationale (oui, oui...) et en 1991 il entre au cabinet d'un ministre de cette même Éducation nationale, et qui a nom Lionel Jospin (nous n'irons pas jusqu'à y voir des retrouvailles de trotskystes recyclés, nous n'avons pas cette méchanceté). Pour le moins, c'est ce qui s'appelle rentrer dans le droit chemin, une sorte de retour du fils prodigue.

    Quant à Daniel Cohn-Bendit, il histrionne suffisamment chez les Verts et à l'assemblée européenne pour que nous nous abstenions d'interpréter son parcours.

    À ce niveau, on peut créer toutes les mythologies qu'on veut, bâtir tous les enchantements autour d'un moment de libération (sexuelle peut-être, mais pour le reste ?). Il n'en reste pas moins que Mai 68 prend des allures de grande récréation pour adolescent en mal d'action et de reconnaissance. Et comme la honte devant le ridicule est souvent le moteur d'une correction de soi sans nuance, on ne s'étonnera pas que si Sauvageot a suivi sa voie sans se déjuger (et c'est tout à son honneur), les deux autres auront su tirer profit de leurs années de scoutisme sorbonnard.

    En 1978, la même année donc, Hubert-Félix Thiéfaine sort Tout corps branché sur le secteur... (qui fera je le confesse mes délices adolescentes). Il y commet une chanson au clin d'œil assassin sur ce qui s'était déroulé dix ans plus tôt. Il y en avait qui n'avaient pas attendu pour se moquer de ce jeu de dupes. Autant achever ce billet avec lui, puisque depuis Beaumarchais on sait que tout finit par des chansons.