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par les champs et les grèves

  • Trois jours en promenade avec Flaubert (III)

     

    chateaubriand

    Quand, consternés que nous sommes par la flagornerie poussive des sommités médiatiques, et que la reconnaissance entre contemporains est devenue l'exemple même d'un jeu complaisant (mais si nécessaire pour exister à l'écran, ou dans certains journaux), la littérature du passé (soit : la plus actuelle qui soit) nous sauve de la tristesse et de l'hypocrisie. On s'y déteste avec violence ; on s'y estime avec frranchise et passion. 

    Flaubert est à Combourg, tout près de l'enfance de Chateaubriand. L'immobile Gustave écrit son admiration (ce qui n'exclut pas la griffe) pour le vagabondage de François-René. Il ne connaît pas encore la gloire qui l'attend mais il se sait un destin. Aussi puise-t-il respectueusement à l'une des sources les plus vives des lettres françaises. Ces quelques lignes sont d'une dignité bouleversante, jusque dans le pastiche. Sauf à croire en Dieu, il faut admettre que l'aîné ne saura jamais rien de l'admiration du cadet encore inconnu. Cette gratuité donne un supplément d'âme à ces quelques lignes.

     

    "J'ai pensé à cet homme qui a commencé là et qui a rempli un demi-siècle du tapage de sa douleur

    Je le voyais d'abord dans ces rues paisibles, vagabondant avec les enfants du village, quand il allait dénicher les hirondelles dans le clocher de l'église ou la fauvette dans les bois. Je me le figurais dans sa petite chambre, triste et le coude sur sa table, regardant la pluie courir sur les carreaux et, au delà de la courtine, les nuées qui passaient pendant que ses rêves s'envolaient ; je me figurais les longs après-midi rêveurs qu'il y avait eus ; je songeais aux amères solitudes de l'adolescence, avec leurs vertiges, leurs nausées et leurs bouffées d'amour qui rendent les cœurs malades. N'est-ce pas ici que fut trouvée notre douleur à nous autres, le golgotha même où le génie qui nous a nourris a sué son angoisse ?

    Rien ne dira les gestations de l'idée ni les tressaillements que font subir à ceux qui les portent les grandes œuvres futures ; mais on s'éprend à voir les lieux où nous savons qu'elles ont été conçues, vécues, comme s'ils avaient gardé quelque chose de l'idéal inconnu qui vibra jadis.

    Ô sa chambre ! sa chambre ! sa pauvre petite chambre d'enfant ! C'est là que tourbillonnaient, l'appelaient des fantômes confus qui tourmentaient ses heures en lui demandant à naître : Atala secouant au vent des Florides les magnolias de sa chevelure ; Velléda, au clair de lune, courant sur la bruyère ; Cymodocée voilant son sein nu sous la griffe des léopards, et la blanche Amélie, et le pâle René.

    Un jour, cependant, il la quitte, il s'en arrache, il dit adieu et pour n'y plus revenir au vieux foyer féodal. Le voilà perdu dans Paris et se mêlant aux hommes, ; puis, l'inquiétude le prend, il part.

    Penché à la proue de son navire, je le vois cherchant un monde nouveau, en pleurant la patrie qu'il abandonne. Il arrive ; il écoute le bruit des cataractes et la chanson des Natchez ; il regarde couler l'eau des grands fleuves paresseux et contemple sur leurs bords briller l'écaille des serpents avec les yeux des femmes sauvages. Il abandonne son âme aux langueurs de la savane ; de l'un à l'autre, ils épanchent leurs mélancolies native et il épuise le désert comme il avait tari l'amour. Il revient, il parle, et on se tient suspendu à l'enchantement de ce style magnifique, avec sa cambrure royale et sa phrase ondulante, empanachée, drapée, orageuse comme le vent des forêts vierges, colorée comme le cou des colibris, tendre comme les rayons de la lune à travers le trèfle des chapelles."


  • Trois jours en promenade avec Flaubert (II)

     

     

    Carnac, alignement du Ménec

    Parmi les lieux visités par Flaubert, il en est qui acquerront dans leur siècle suivant une notoriété touristique. Ainsi, le site (pour parler moderne) de Carnac... Mais devant les alignements mégalithiques, c'est moins l'étonnement qu'une certaine consternation ironique... Surtout, on le lira à la fin de l'extrait, il y a cette spiritualité dans la comparaison dont on ne sait jamais si elle est pure invention ou, peut-être, reprise d'une phrase ici ou là entendue.

    "Bientôt, enfin, nous aperçûmes, dans la campagne des rangées de pierres noires, alignées à intervalles égaux, sur onze files parallèles qui vont diminuant de grandeur à mesure qu'elles s'éloignent de la mer ; les plus hautes ont vingt pieds environ et les plus petites ne sont que de simples blocs couchés sur le sol. Beaucoup d'entre elles ont la pointe en bas, de sorte que leur sommet. Cambry dit qu'il y en avait quatre mille et Fréminville en a compté douze cents ; ce qu'il y a de certain, c'est qu'il y en a beaucoup.

    Voilà donc ce fameux champ de Mars qui a fait écrire plus de sottises qu'il n'y a de cailloux , il est vrai qu'on ne rencontre pas tous les jours, des promenades aussi rocailleuses. Mais, malgré notre penchant naturel à tout admirer, nous ne vîmes qu'une facétie robuste, laissée là par un âge inconnu pour exerciter l'esprit des antiquaires et stupéfier les voyageurs. On ouvre, devant, des yeux naïfs et, tout en trouvant que c'est peu commun, on s'avoue cependant que ce n'est pas beau. Nous comprîmes donc parfaitement l'ironie de ces granits qui, depuis les Druides, rient dans leurs barbes de lichens verts à voir tous les imbéciles qui viennent les visiter. Il y a des gens qui ont passé leur vie à chercher à quoi elles servaient et n'admirez-vous pas d'ailleurs cette éternelle préoccupation du bipède sans plumes de vouloir trouver à chaque chose une utilité quelconque ? Non content de distiller l'océan pour saler son pot-au-feu et de chasser les éléphants pour avoir des ronds de serviette, son égoïsme s'arrête encore lorsque s'exhume devant lui un débris quelconque dont il ne peut deviner l'usage."

     

                                                                                                Photo : Philippe Hillion