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pasquino

  • Silenzio...

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    À l'angle de la via San Pantaleo et de la via del Pasquino, tout près de la piazza Navona, on peut encore contempler les restes fort mutilés d'une statue, sur laquelle, depuis le XVIe il était de tradition qu'on vînt coller des textes, anonymement : libelles, pamphlets ou simples plaintes. Elle servait donc d'exutoire et de vox populi. Toutes ces années où j'ai arpenté Rome, je me suis toujours délecté de cette liberté de rue qui, certes, ne révolutionnait pas le monde, n'était sans doute qu'un bougonnement sans lendemain dans le cours des existences. Il ne faut pas être dupe. Mais c'était le geste, la beauté du geste, et le chevauchement incongru des diverses proses. Peut-être est-ce une manière de ne plus faire attention à la réalité que de s'habituer à la présence, devenue presque neutre, des choses. Ces billets étaient là et d'une certaine manière ils étaient comme invisibles.

    Or, cet été, j'ai découvert avec stupéfaction qu'on avait restauré la statue. Propre, nette. Comme un sou neuf disait ma grand-mère. Et conséquence fâcheuse, mais que je crus passagère : le silence symbolique de la statue parlante. Dès lors, et tout le temps de mon séjour, je passai quotidiennement devant le Pasquino, espérant entendre à nouveau sa voix. Désespoir chaque jour grandissant d'un mutisme aussi insolent que la javellisation de la pierre. La propreté de l'objet se couplait avec l'abandon de sa territorialité populaire et par essence romaine. La voix du populus romanus avait, semblait-il, abdiqué, comme une énième concession à cette neutralité internationale qui pourrit, d'une manière bien plus insidieuse que la crasse, le monde contemporain. Je vins et revins. Peine perdue. Faut-il penser qu'on a fini par assimiler cette tradition à une dégradation, la parole séculaire à un vulgaire graffiti ? Je ne sais.

    Couardise ou timidité : je ne me hasardais pas à coller un billet. Je n'en ai de toute manière pas le droit : je ne suis pas romain. Reste que cette singulière, et désagréable, sensation d'une perte. L'anecdotique prend parfois l'importance d'un devenir pressenti sous son jour le plus sombre. Une sorte d'obscurantisme qui traîne là, ici un hygiénique ravalement... Derrière ces apparences diverses, des desseins semblables. Une morbide neutralité... 


    Photo : X


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