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remembrement

  • Retour au désert

     

     

    Le bourg avait alors quatorze exploitations, de taille modeste, entre quinze et vingt hectares. Il n'en reste plus que trois aujourd'hui, bien plus conséquente évidemment. Les plus pauvres eurent longtemps des bœufs ou des chevaux pour tirer les charettes ou mener le sillon de la charrue. Les Massey-Ferguson sont venus peu à peu.

    Tout avait une lenteur travailleuse. Ils se levaient tôt et finissaient tard, gagnaient modestement. Ils n'étaient pas encore encerclés par les contraintes de la PAC. Les champs ne s'étaient pas encore convertis au maïs. Ils se connaissaient tous et pour les moissons, les battages, le veau ou le cochon tués, ils faisaient de grandes tablées qui tiraient l'après-midi entière du dimanche. Ce n'était pas idyllique : les souffrances, les fatigues, les bisbilles, les aigreurs, les envies et les mesquineries avaient leur place. L'épisode du remembrement fut l'occasion belle de certains règlements de compte.

    Le presbytère avait encore son curé, lequel passait parmi eux sans faire le tri entre ses ouailles les plus fidèles et les mécréants. Ces derniers étaient rares, d'ailleurs. La messe dominicale, dans l'église en haut de la côte (avec son cimetière autour si bien que les noces passaient au milieu des morts avant d'aller faire bombance), était un moment de retrouvailles. Ils descendaient ensuite en cortège au café (qui était la propriété du boucher. Le dépôt de pain vendait aussi des bottes) et à l'épicerie, ayant laissé de côté les questions de la résurrection et du péché, pour des problèmes plus étroits : la prochaine foire, le prix du lait, sans parler des affaires plus privées. Temps du ragot et du repos.

    Certes on pouvait ironiser sur la rigueur de leur foi, si l'on considérait l'art du juron qu'ils avaient développé. Pour le moindre problème, ils sonnaient des bon Dieu de mille bon Dieu comme cloches à Pâques. Ce n'était pas pourtant pas du folklore mais une part d'eux-mêmes, un élément de leur décor intérieur, comme l'étaient les paroles superstitieuses.

    Bientôt, presque conjointement, le curé trop vieux ne trouva pas de remplaçant et les fils reluquèrent vers la petite ville d'à côté, pour des emplois plus propres, moins contraignants. Le presbytère fut vendu à un militaire ; les granges et les étables perdirent leur utilité. Ils virent arriver des urbains en retraite, des familles en quête de résidence secondaire. Les bruits s'estompèrent, ceux du travail ; le verbe se fit moins haut, le patois reflua. Les ravalements et les jardins proprets se multiplièrent. Les volets clos furent le lot de la semaine. Le parking devant l'église resta vide ou presque, même pour la messe devenue mensuelle. Les derniers agriculteurs furent de plus en plus soumis à des règles lointaines, catégorie socio-professionnelle (comme on dit techniquement) où les suicides sont les plus nombreux.