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transports en commun

  • Matin

     

                                                            "L'omnibus, pressé d'arriver à la dernière station, dévore l'espace, et fait craquer le pavé... Il s'enfuit !" (Lautréamont)

     

    Un certain temps dans le bus. Pas le soir, au milieu des hagards, dans le bouquet des heures suées de l'été ou les miasmes de l'hiver. Plutôt à l'intermédiaire : mi-mars ou fin octobre -période resserrée dans le cycle de l'année, comme ces courts moments d'un champ au repos. C'est le petit matin, dans la fraîcheur sèche, et les voyageurs clairsemés. À peine une dizaine. Silencieux. Communion des restes d'insomnie ou des soubresauts oniriques. Le jour commence à fureter. Les enseignes ont encore une certaine portée. Fanals bientôt affadis pour le passager de la nuit. Tu ne retournes pas au sommeil, à peine la somnolence, et tu connais enfin la patience engourdie des choses qui filent derrière la vitre. Jachère de l'âme transportée. Le grondement du moteur, seul bavardage du moment, rend plus muettes encore les façades qui, pour les plus hautes, zyeutent le fleuve. Une péniche remonte le courant. Vous doublez un cycliste portant des chaussures vertes.  Les rideaux de fer sont encore de mise. Ton corps est habité d'un abandon qui, tu le sais, ne durera pas. Il suffirait que deux intempestifs (fêtards ou travailleurs énervés) surgissent et le charme refluerait.

    La vitesse, modeste, est berceuse (souvent le bus passe un arrêt. Personne). Le bar-tabac vient d'ouvrir. Tu en connais les discussions minimales, paupières fixées sur l'expresso serré. Tu voudrais que le trajet filât infiniment. Ni terminus, ni boucle : à la place, une évadée sans autre objet que de te protéger de ton retour au monde. Pourtant ta main doit appuyer sur un bouton (puisque nul autre voyageur n'a étiré son corps), parce qu'après le prochain virage, c'est pour toi (oui, de ce pour toi qui justement te retranche de la liberté passagère, ce pour toi qui te fait autre.). Redescendre sur terre. De toute manière, trop tard. Les voitures sortent de tous les coins. Les gens. La ville. Fini le temps du bus. Tu descends. Quelqu'un de connaissance se retourne, sourit en t'attendant. Le soleil vient de passer du rouge à l'orange.