Francis Bacon, Etude d'après Velasqquez, Portrait d'Innocent X, 1953
Étrange atmosphère, où se percutent les époques et les images (l'image, là devant soi, en secrète instantanément), que ce tableau de Francis Bacon.
Le bien nourri Giovanni Battista, précipité dans un dérèglement manigancé par la vitesse (2 G ? 3 G ? 4 G ?), n'est plus qu'une ombre émaciée. Il n'est que chairs tendues et prêtes à se désintégrer. Spectre d'une histoire antérieure. Le corps tombe ou se projette dans l'espace...
Peindre représentait, donnait déjà à voir l'absence à venir. Un memorandum de formes et de couleurs, au creux duquel Velasquez avait glissé un vers malicieux. Une ruine dans le pouvoir. Mais la peinture gardait le feu de ce qui avait été, sauvait les apparences, en quelque sorte.
Avec Bacon, c'est fini. Innocent X est dissout.
La peinture est bandée de tout ce qui l'arrache ; elle arrache aussi le souvenir de Velasquez. Le tableau désosse l'illusion. Le corps se décharne, la bouche un cri vide, comme vitrifié.
La chaire pontificale se réduit à son ossature incandescente et électrisée. Westinghouse est passé par là, et le spectateur filant quinze plus tard les péripéties de l'art pense à Warhol, et nous aussi.
Le passé est en feu, aux fers. Tout ce que l'on veut, Bacon ne le salit ni ne le bafoue. il en fait pâlir l'étoile. Le pape n'est plus, de ne pouvoir être, ces temps matériels et post-atomiques, qu'une fonction qui régresse, qu'une image déchirée, comme s'il l'on y avait appliqué des bandes de scotch tirées d'un coup.
Et la pourpre cardinalice a disparu pour le violet épiscopal.
Plus rien, bientôt. Plus rien...