Modernité, liberté (de choix), individualité.
Il est pour le moins ironique de remarquer la congruence sémantique qui lie aujourd'hui les tenants du libéralisme intégral et les chantres d'un vivre-ensemble revisité à grands coups de liftings sociétaux.
il est curieux de voir ces deux univers converger vers une détermination politique et économique qui, dans l'espace européen, a clairement identifié son ennemi : l'héritage chrétien et plus particulièrement le catholicisme. On retrouve chez les défenseurs communautaires d'un droit individuel sans limites le même besoin de désigner l'objet sacré, celui contre lequel il faut absolument lutter. Comme les régimes totalitaires jadis, ici ou là, il y a une espèce à pourchasser : le juif ou l'aristocrate, l'intellectuel ou le bourgeois. Aujourd'hui : le catholique hétérosexuel.
Le délire sécuritaire autour des manifestations pour tous, le déversoir injurieux sur ceux qui défilent rappellent les plus belles heures de l'ostracisme dictatorial. Il est vrai qu'aux manettes, les lobbbyistes communautaires héritent de l'art sournois de la manipulation cher à l'entrisme trotsko. Les mêmes qui pourrissaient le débat et répandaient la terreur dans les lettres et ailleurs en s'extasiant devant Mao ou les mouvements tiers-mondistes (quel que soit leur obédience : il suffit de voir les crétins contemporains se féliciter des prétendus printemps arabes...) continuent de plus bel en vilipendant une France réactionnaire, raciste, fasciste, rance, homophobe, antisémite, islamophobe, et j'en passe. La liste s'allonge chaque jour et elle prend une telle ampleur que sa raison en devient suspecte. Oui, suspecte. Car si le monde est ainsi gangrené par la prêtrise, les culs bénis et les furieux de Dieu, il faut assurément ouvrir des camps (de rééducation il va sans dire...).
La pourriture d'un régime et d'une pensée se juge par le besoin qu'il éprouve (c'est un quasi besoin physique) d'incarner l'ennemi, d'en découdre avec lui. La nécessité de l'ennemi et la démesure de la vindicte. C'est d'une drôlerie macabre que de voir les chantres de la liberté et de la fraternité, sans qu'ils le sachent même tous (1), sur les traces d'une idéologie politique que n'auraient pas désavoué ni Paretto ni Carl Schmitt.
Modernité, liberté (de choix), individualité.
Le pacte républicain revu et corrigé, corrigé surtout (comme on sanctionne). C'est-à-dire réadapté aux besoins d'une économie qui après nous avoir voulu sans terre (2), sans moyens (ou sinon limités), nous veut désormais sans nation, sans filiation, sans religion (sinon privée : vous prierez maintenant dans vos chambres). Pour arriver à leurs fins, les nababs du laisser-faire ont su trouver les meilleurs appuis qui soient dans les travées du laisser-aller qui s'est transformé alors en laisser-être. Loin de se tourner vers les tenants d'un capitalisme moral et rigide, ils ont rameuté les libertaires qui veulent à la fois la reconnaissance juridique et la marginalité identitaire. Il fallait prendre appui sur ceux qu'un ego démesuré pouvait aveugler, tant ils se croient au-dessus des autres. Voilà qui est, sur le plan stratégique, bien trouvé. L'amour de soi devient le droit à tout. Mais il est vrai que l'essence libéral tient en cette dernière phrase : elle en est le moteur et la finalité.
C'est d'ailleurs à la lumière de ce constat qu'il faut comprendre leur souci de passer par le juridique. Par la loi, il s'agit de défaire tout autant que de faire. L'acharnement autour du mariage gay et surtout la perspective d'institutionnaliser la PMA et, plus encore, la GPA, ne trompent pas. La loi n'est plus alors la défense de tous, ou la protection de minorités persécutées mais le dépeçage de l'histoire. Un député socialiste, en 1981, rappelait à ses compères de l'opposition qu'ils avaient "juridiquement tort parce qu'(ils étaient) politiquement minoritaires" : au-delà de l'inélégance de la formule et de ses présupposés proprement fascisants (la loi, c'est nous, la loi, c'est tout, et vous n'êtes rien), on remarquera combien le concept de minorité est lui-même soumis à une lecture variable. Respectable et agissante un jour, la minorité est en d'autres temps négligeable et à mépriser.
Qu'a-t-il bien pu se passer en plus de trente ans qui puisse donner à ce point à un petit groupe d'intrigants un tel pouvoir, sinon qu'ils ne sont que la fausse minorité d'une volonté elle majoritaire, dans l'espace de la classe dirigeante et politique, se pliant aux diktats d'un délire individualiste conforme/utile à une société où on s'en remet à la loi du plus fort et aux capacités de chacun à vivre comme il l'entend.
Le mariage gay est un symptôme, comme la revendication cosmopolite : dans les deux cas, il s'agit, sous couvert d'aspiration égalitaire et d'ouverture à autrui, de satisfaire les désirs égocentriques d'un groupuscule nanti. En ce sens, autrui n'est qu'un alibi. Il est la façade par quoi passent les revendications nombrilistes. Il est cet autre dont je peux me servir, et sur ce point la gauche est imbattable : de même qu'elle instrumentalise l'arabe ou le noir (comme étranger reconnaissable), elle récupère le ventre d'autrui. Autrui n'existe pas en soi. Il n'est qu'un service. Il me rend service. Et rien de plus.
Ne soyons pas modernes. Surtout pas. C'est la seule manière de revenir à la question d'une humanité dans toute sa limite et de récuser les grotesques promesses d'un futur technologisé et ouvert à la disparition de la Loi.
C'est maintenant que tout se joue. On comprend mieux ce qu'il y avait de sordide (et faussement niais) dans le slogan présidentiel. Le changement, c'est effectivement maintenant. Il est temps de ne pas s'en remettre au destin. Il nous voudrait rances et nous sommes vivants ; ils nous voudraient de toutes les phobies et nos amis homos ou lesbiens rient avec nous, et Mohamed fait sa cinquième prière dans la chambre à côté ; ils nous voudraient antisémites et nous sommes plus juifs qu'eux.
Ils nous voudraient seuls et aigris ; nous sommes de toute notre antériorité, et des ramifications de nos antériorités. Et nous n'avons pas de preuves à leur donner de notre appartenance à la réalité du monde. Nous ne sommes pas nous-mêmes, mais au-delà de nous-mêmes. Non pas dans l'éternel présent du désir forcené. Nous sommes dans l'ascendance, dans le seul territoire qui soit capable de recevoir autrui en ce qu'il est et pour ce que nous sommes...
(1)Pour les plus idiots, s'entend. Je ne crois pas à la naïveté des dirigeants.
(2)Et de vouloir relire Juan Goytisolo, Juan sans terre...
Photo : Narelle Autio