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Trouver les mots

 

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Tu cours, tu es en sueur, tu entends ton souffle, et les temps de tes enjambées sur l'asphalte du trottoir. Tu es en toi-même, dans la totalité de ton corps, au moment où les sécrétions d'endorphine te le rendent plus léger, et dans ton esprit la rue pourrait ainsi se dérouler à l'infini. Tu slalomes aisément entre les quelques passants.

Jusqu'à cette place que tu aperçois, à cent cinquante mètres, et sur laquelle un attroupement te demandera à faire un écart plus conséquent, à vérifier que nulle voiture ne viendra dans ton dos.

L'église a ses portes grandes ouvertes et devant elle un corbillard, noir et gris, a lui ouvert les siennes. Deux hommes en tirent un cercueil. L'assistance se regroupe. Tu cours moins vite. Ton abstraction au monde décélère. Ils sont habillés de sombre, plutôt élégants, et d'âges variables. Aucune effusion visible. Des visages fermés. Et au milieu d'eux, la crinière chenue du prêtre, qui accueille le mort et ceux qui ne veulent pas s'en séparer si facilement. Tu cours et tu le vois qui tend ses mains à celle qui doit être ou la mère, ou l'épouse, ou la fille. Il donne ses mains. Tu continues ta course.

La rue file toujours et tu te souviens qu'enfant tu ne disais pas prêtre mais curé. Et comme si ton esprit aussi filait sur un chemin de traverse, remisant ainsi, à la vitesse de l'éclair, tes petites misères, tu comprends que les semaines de ce curé sont rythmées de toutes ces disparitions pour lesquelles il faut à chaque fois trouver les mots justes, entre consolation et espérance. Il n'a pas le droit, lui, de remettre à demain, de balayer d'un revers de main, parce que la douleur n'attend pas. Elle est là, là après que le médecin a débranché l'appareil, après que fut signé administrativement le certificat de décès. Il n'y a pour lui, le plus souvent, que des veilles et des lendemains de tombeaux, de larmes et d'incompréhension. Tu te demandes si son Dieu peut lui suffire pour ainsi prendre la charge de toutes les détresses qui remontent la nef jusqu'à l'autel.

Les jambes te manquent. Tu marches lentement. La sueur coule. Il fait chaud, il est trois heures et tu essaies d'imaginer, sans y parvenir, ce quotidien peuplé de mots si nécessaires à qui ne peut plus les entendre, si nécessaires aussi à qui ne voudrait jamais avoir à les entendre.

 

Photo : Louis Bourdon

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