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Miroirs (I) : Egon Schiele, par transparence

egon schiele autoportrait aux doigts écartés 1914.jpg

Egon Schiele, Autoportrait aux doigts écartés, 1914, Geementemuseum La Haye

 

Ce n'est pas une affaire de chair, mais de jointures et d'os ; moins encore une question de ce qui pourrait se remplir, car les traits ne s'arrondissent pas. Et il faut entendre par traits, la superposition symbolique de la trace laissée par l'outil du dessin et l'apparition du modèle, dans un effet de ressemblance. Une trace qui s'apparente souvent à un sillon, presque une ornière.

Quel angle de soi donner, quand on ne veut être que la somme hideuse, ou pour le moins dérangeante, de tous les angles et les nœuds de son corps ? L'homme a l'air soucieux, presque absent. La tête penchée se combine aux doigts, longs, qui entrent dans la joue, quasi la transpercent, comme si l'oubli était tellement fort que le corps en soi n'existait plus vraiment. La moue est dubitative. Il y a un semblant de théâtralité. On pourrait penser à une certaine affectation mais la mimique glisse trop vers la grimace pour que l'on puisse se dire : l'artiste prend la pose, il joue et fait des mines. Il y a un dépouillement si terrible que la rêverie morose et romantique ne prend pas, et plus on regarde cet autoportrait, plus il remonte loin dans notre histoire, dans ce qu'elle pourrait être. On y devine une histoire de la souffrance, une histoire de la maladie. Il ne nous restera un jour que la peau et les os, à la manière des clichés médicaux et des négatifs photographiques. 

Mais l'œuvre de Schiele est évidemment plus troublante puisqu'elle n'a pas la prétention de la vérité argentique. Elle est avant tout une projection déformée, comme tout autoportrait : une mise au loin de soi, une distance trouble qui tient, au moins, dans l'écart entre la feuille et le corps véritable, le corps véritable réduit à la main et la main au crayon qui dessine. Cette main qui, au premier plan, forme comme un éventail déchiré.

La peau et les os, et guère plus. Tout est transparent. Quelque chose passe à travers et qui n'est pas sans densité, la densité même de ce que n'a pas touché la mains de l'artiste, ou à peine effleuré, parce que de toute manière toute tentative de se peindre est vaine et le manque (pourquoi pas un manquement ?), ce qui est raté compte autant que ce qui a été capturé. Il y a ce qui a été mis sur la feuille mais le vide est tout aussi élémentaire que le trait. La couleur est forte et visible mais comme en périphérie : le manteau et les cheveux sont les seuls signes de l'opacité et de la consistance qui permettent de différencier le visage. Pour le reste, en effet, la couleur doit composer avec le fond même de la feuille. Le corps de l'artiste n'est pas habité, incarné. Il n'est qu'une trace, un quasi souvenir de soi, pour plus tard. La mort est pré-figurée parce que l'existence est étriquée, racornie. Les yeux sont des charbons éteints mais, sur un certain points, presque lumineux, comme les ardeurs d'un maquillage entaché de larmes ou de fatigue. La blancheur est, comme souvent chez Schiele, la matière la plus forte, par quoi justement il in-forme son dessin d'un transitoire, d'un déjà-vécu qui fait frémir. 

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