Dans un beau billet qui discutait d'une citation fausse (ou plutôt détournée) attribuée à Franz Kafka, Pascal Adam mentionne la phrase suivante, en date du 12 juin 1923, dernier jour du Journal de l'écrivain tchèque : « Nous creusons la fosse de Babel. »
Sur cette phrase du dernier jour diariste : comment la comprendre ? S'agit-il d'imaginer une cacophonie de jour en jour plus grande, ou, par un audacieux paradoxe, comprendre que l'éparpillement linguistique de Babel va vers sa fin ?
En fait, faut-il que nous nous comprenions ? Y a-t-il un mal à la multiplicité des langues, c'est-à-dire des regards, des histoires, des rêves, des interrogations, des enthousiasmes et des pleurs, des renoncements et des formes ? Dans un monde qui veut de l'unité formelle et des comportements de cibles marketing, cette parole aux couleurs infinies dérange. On lui préférerait en hauts lieux le sabir appauvri, routinier et "efficace". C'est bien la seule diversité qu'on ne veut plus préserver (quand on nous assomme de ce mot pour tout le reste) parce qu'elle n'est pas commercialement mondiale, indéclinable sur l'échelle des valeurs marchandes.