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L'échappée berlinoise de Valls est déjà oubliée. Peut-être ne l'est-elle pas de de l'un ou l'autre d'entre nous mais cela importe peu. Notre volonté de garder en mémoire un fait aussi symbolique relève pour le flot médiatique (1) d'une aspiration réifiée à la pesanteur. Ce que j'écrivais, et qui, me semble-t-il, n'était pas d'une grande originalité, mais considérait simplement un acte à tout le moins ridicule de "papa omnipotent pour fifils hors sol", je n'en ai trouvé nulle trace dans les divers journaux que j'ai lus ou écoutés (2).

En revanche, et comme un contrepoint tragique, une question lancinante : sera-ce son Fouquet's à lui, cette tâche indélébile du quinquennat sarkozyen ? Cette interrogation, en forme de comparaison, ou de parallèle, c'est selon, ne vaut pas tant par sa justesse que par les présupposés qui la rendent possible dans le monde journalistique. 

Le premier présupposé concerne le fait en lui-même. Ce voyage à Berlin n'a pas de réalité concernant l'homme tel qu'il est. Son arrogance, sa morgue, son jeu ridicule d'homme de la banlieue soucieux de la France alors qu'il pue le blairisme (sans le dire vraiment, bien sûr) n'ont rien à voir avec cette liberté prise avec l'argent du contribuable. Ce voyage ne compte que dans son effet médiatique. Ce qui veut dire, en clair : si faute il y a, c'est d'abord comme un effet de perception, une malencontreuse subjectivité dont l'opinion pourrait faire un usage plus ou moins vindicatif à l'égard du sieur Valls. Le peuple aura-t-il de la mémoire ou non ? Le peuple sera-t-il rancunier ou non ? Le peuple sera-t-il indulgent ou non ? Le peuple sanctionnera-t-il ou non ? En déplaçant le curseur du côté de la population, on produit aussi une étrange modification du fait. On minimise celui-ci pour considérer les possibles délitements d'une réaction outrancière, alors qu'il faudrait, nous dit-on, juger le politique sur ses actes concrets. La complaisance médiatique commence dans ces eaux troubles, quand, devant l'énergumène indélicat, on se retourne vers ses juges symboliques pour voir s'ils vont rester dans la mesure ou non. Petit travail subreptice de culpabilisation pour les uns que l'on mâtine d'un peu d'humanité pour celui qui se dévoue à la chose publique. Se demander si Valls va le payer, c'est se demander si les parents vont sanctionner le gamin. Là aussi, il y a une psychologisation masquée et débile du rapport entre la sphère politique et ceux qu'elle représente (3). La question est là : pardonne-t-on à l'aîné parce qu'il a fait le mur pour retrouver ses potes ? 

Le deuxième présupposé tient à la place médiatique assignée à Valls en substitut potentiel d'un Hollande défaillant. L'inquiétude autour de cette "bourde" (dixit le Catalan...) est aussi le produit d'une construction en forme de casting pour les années à venir. L'univers informationnel a besoin d'une distribution suffisamment fourni pour fabriquer son théâtre artificiel. Dans l'état actuel l'ectoplasme corrézien n'est pas en mesure de tenir son rang. Il faut donc un candidat de substitution pour que le soap opera de 2017 tienne le couillon en haleine. L'inquiétude autour des effets berlinois est donc le reflet d'une préoccupation marketing propre au monde de l'information dont il faut répéter à l'envi qu'il est désormais (4) un système marchand soumis aux impératifs de la concurrence et qu'il doit produire, par ses propres moyens, la matière qui le fait vivre. Dès lors, la question autour des retombées berlinoises renvoie à deux paramètres à la fois contradictoires et complémentaires. Créer une interrogation pour susciter l'intérêt, voire l'émoi ; neutraliser l'interrogation légitime pour pouvoir conserver dans sa globalité l'équilibre d'un vase clos par quoi le profit et la pérennité du système sont validés. 

On retrouve là deux modélisations faciles et factices : faire peur et rassurer. Comme au cinéma. Les mêmes ficelles. Créer l'événement, jouer avec l'événement, puis le vider de son contenu.  Sur ce plan, il faut reconnaître que la place prise aujourd'hui par les chaînes d'infos en continu a accéléré le mouvement. Plus de présence donc plus d'intensité. Plus d'intensité donc plus de névrose. Plus de névrose donc plus d'artifice. La mort de la démocratie est à ce prix. Et nous le payons un peu plus chaque jour...

(1)Et sans doute, aussi, pour le militant de base, ce crétin complotiste qui ne voit pour son poulain chéri dans ceux qui demandent des comptes que langues vilaines et esprits retors.

(2)Effort conséquent, il faut le signaler, que de lire la mauvaise prose d'une engeance journaleuse à mille lieues de ce que furent mes lectures de jeunesse...

(3)Ne nous en étonnons pas tellement. Quand, par voie sondagière, on apprend que les Français ont de la tendresse pour Jacques Chirac, on se dit que tout est possible et la médiocrité des représentants n'est qu'un effet de la bêtise de la masse. Bêtise qui commence par une faculté remarquable d'oubli, un art de l'amnésie qui fait rêver...

(4)Mais a-t-il jamais été autre chose ? Le modèle imposé par de Girardin au XIXe siècle tend à montrer que l'évolution contemporaine n'est que l'exacerbation d'un modèle structuré sui generis pour produire de la plus-value.

 

Photo : Philippe Nauher

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