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En pensant à Jacques Réda

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Je n'y ai pas immédiatement pensé, en le faisant. Je n'ai même pas réfléchi que c'était une façon de voir le monde et de se dérober. Ou pour être plus exact, de sentir qu'il y avait à la fois un intérêt pour ce que je regardais et une forme de retranchement. La vitre. Le double vitrage du train. La paroi froide qui éloigne plus encore le monde. La fenêtre d'un train n'est pas une fenêtre comme les autres. Il ne s'agit pas de s'accouder pour regarder les passants, être dans le point fixe et contempler le théâtre. Il y a bien quelque chose qui défile mais nous défilons tout autant que lui. Nous n'avons pas le temps de nous arrêter, et ce qui nous arrête (dans l'esprit, j'entends, le détail ou le moment de vie que l'on capte) n'est déjà plus là. Nous sommes ailleurs. Tout est ailleurs. Vaste monde et perte infinie.

Prendre des photographies à partir d'un train (à partir, dis-je, par la force des mots puisque le train est en fait déjà parti. Il est loin, toujours plus loin), c'est adopter une position (peut-être une posture) que jamais plus je ne retrouverai. Plus que tout : sentir le furtif. Et en même temps, ce furtif se fixe, et je suis comme à l'arrêt. Ainsi, pensè-je à Jacques Réda qui, dans L'Herbe des talus, rêve avec la légèreté grave qu'on lui connaît sur ces ouvertures presque intrusives d'un train au ralenti sur des pièces éclairées en bord de voie, sur ces vies qu'on ne reverra pas et qui s'offrent, d'une certaine façon.

 

Sur cette photographie, il y a les fils, les voies, des sortes de hangars, des voitures garées. Il y a surtout ce bâtiment, en retrait, et ces fenêtres. Rien qui soit misérable ou dégradé. On peut même imaginer que la construction en est assez récente. Mais je pense alors à ces vies rythmées par l'échéancier ferroviaire et la tentation, peut-être, de se perdre, à l'une de ces fenêtres, dans le décompte, sur vingt minutes, une heure, deux heures, des convois qui filent. De ces lucarnes, la vue est laide, le panorama triste. Il n'y a alors que les trains, eux-mêmes pas toujours reluisants, qui animent un après-midi de retraite ou d'ennui. La ritournelle des sifflets et du claquement métallique. Et la vitesse, massive et rude, qui m'emporte, loin de cet endroit dont je ne connais pas le nom...

Photo : Philippe Nauher

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