Je pense aux morts. Non les solennels qui ont droit à l'hommage présidentiel, ni aux célèbres dont la place était déjà chauffée dans les rubriques nécrologiques. Pas même aux miens, à cette intimité qui se fait avec le lignage perdu, les amitiés enterrées (pour de bon). Je pense aux morts qui ne le sont pas encore mais que les aventureuses chimiothérapies assassinent d'un fol espoir, à qui le grand âge fait oublier qu'ils ont eu un an de plus et qui regardent leur anniversaire comme une anecdote grossière. Je pense à ces rides et à ces sanglots inaudibles, à ces fatigues qui surpassent même l'envie de se plaindre. Je pense à ces décapités, à ces morts de faim pourrissant au fossé. Toute journée se finit et l'on se console amèrement de l'appeler fatalité...