À cinquante mètres de distance, découverts le même jour : une lettre manque ici quand on a écrit un chiffre en plus là. La beauté du kairos fait courir l'imagination, puisque, dans une certaine mesure, l'esprit peut être trompé par ce qui est ajouté ou retranché.
Dans un roman policier, il arriverait ainsi qu'un personnage ait été gravement touché dans la rue de Crimée mais que, retrouvé ailleurs, inconscient, il ne garde, dans les dernières lueurs de lucidité que le souvenir du crime, la rue du crime, ce qui, en considération de son état, laisserait les enquêteurs perplexes. Il y a si loin de la Crimée au crime, dans ces circonstances, que tout le monde resterait longtemps aveugle. De même, dans un autre roman, un agonisant évoquerait le 33 et la police passerait au crible toutes les adresses de la ville répondant à ce critère. En vain.
Il faut ainsi imaginer, dans les deux cas, un autre indice pour que l'énigme soit résolue, moins un indice d'ailleurs qu'une illumination, une pas même intuition, plutôt : un mélange de réminiscence et de conviction. Par exemple, dans l'affaire de la lettre, le héros, revenant d'une conférence sur Lacan (il est l'amant d'une psychanalyste...), relirait le fameux texte de la Lettre volée, que son esprit détournerait évidemment pour trouver celle qui manque ; dans l'affaire du chiffre -devenu nombre- l'esprit aventureux d'un inspecteur, revoyant L'Assassin habite au 21, de Clouzot, ferait une addition 2+1=3, penserait au docteur Linz. Dites 33. Son supérieur trouverait cela tiré par les cheveux, comme on dit. Mais l'invraisemblable serait, selon les amoureux de l'algorithme, la règle.
Le monde est plein de signes, sur lesquels nous nous méprenons. Nous le savons. Qu'à cela ne tienne : nous aimons l'erreur, l'illusion, l'approximation. Elles nous blessent autant qu'elles nous nourrissent. La manquante et l'ajouté nous servent à garder à l'esprit le bonheur trouvé dans l'exacte mesure de l'existence...
Photos : Philippe Nauher