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Les armoiries de la rêveuse

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Elle a tout de suite balancé qu’elle ne gardait rien, qu’on pouvait tout jeter : les meubles, les souvenirs, les lettres, les vieilles fringues, et les neuves. La vaisselle aussi, sans parler des photos.

Elle prenait seulement une valise, vide. Vide ? Evidemment, puisque le but de toute cette aventure n’était pas de se surcharger mais de remplir les jours, les mois et les années à venir. Il fallait donc une valise, sans rien à l’intérieur.

En plus, ce serait utile, en arrivant là où elle passerait, une manière d’avoir une main libre et l’autre occupée à faire croire qu’elle avait déjà vécu, qu’elle venait de quelque part, qu’elle était sûre d’elle-même.

 

*

 

Elle pensait aux premiers temps, aux premières nuits inconnues dans des endroits improbables ; et d’ouvrir la valise pour n’y rien trouver et ne rien y mettre. Et elle imaginait que, peut-être, un matin, en faisant la chambre, un hôtelier indélicat voulant fouiller pour en savoir davantage découvrirait le secret de cette si discrète occupante de la chambre 15.

Il aurait peur, ensuite, en la voyant au petit-déjeuner, peur de ses manières simples, de son calme. Il suffit de peu pour les gens (se) racontent des histoires.

Il lâcherait même, le matin de son départ, un « vous n’êtes pas encombrée, dites », auquel elle répondrait, avec un large sourire, qu’elle a tout sur elle et que le monde est inépuisable.

 

*

 

Elle a gardé un certain temps la valise, sans jamais rien y conserver. Ce n’était pas nécessaire. Elle pouvait faire sans. Elle l’a abandonnée sur un chemin qui descendait vers la mer, et longtemps après, très longtemps, dans l’intérieur de la doublure qui venait de se déchirer, le fils de l’acquéreur inopiné a trouvé la photo couleur d’une jeune femme châtain clair, sur un quai de gare, sans la moindre indication, ni recto, ni verso. Il a beau chercher en elle les traces d’un sentiment particulier et précis, il reste désemparé, comme si, dans l’éclat des couleurs étonnamment conservées, d’une époque indéfinie, elle arrivait à se soustraire à son regard. Cette photo, il l’a punaisée sur le panneau de liège, au-dessus de son bureau, dans un coin à part, et il se promet un jour de retrouver ce quai et d’en percer le mystère…

 

Photo : Alexandre Mouchet (avec l'aimable autorisation de Newyorka)

              

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