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Murs (II)

Il avait en horreur les murs nus. Il disait d’ailleurs : murs nus, à entendre, c’est laid. Manque de poésie. Dissonant. Et dans certains cas, dans certaines circonstances, on penserait aisément que vous déformez le nom de Murnau. Le u est laid. Voyelle la moins fréquente des langues. On comprend pourquoi : mur nu. Quelle horreur !

Il avait dit à son copain de s’occuper du mur. Il n’avait, lui, pas d’idée. De toute manière, il ne voulait rien imposer. Il ne débordait pas d’imagination. Son problème tenait moins dans les choses que dans les mots.

Peindre le mur ne signifie pas qu’on le change. C’est trop facile, qu’on enduise pour en mettre une couche. Puis une deuxième couche, et qu’on en déduise que la couleur, vive ou sombre, mate ou brillante, voire satinée, ait résolu le problème. Elle fait office de cache-misère. La peinture n’habille pas. Elle recouvre, ce qui revient à le laisser en l’état. C’est tellement évident qu’un daltonien n’y verrait parfois que du feu, et qu’un photographe N&B annulerait, annihilerait même, l’effort. La teinte n’enlève pas la platitude. Elle la désigne.

Il fallait une manière. Il fallait une matière. Quelque chose qui donne une perspective, une profondeur. Un relief.

Son copain ne manquait pas de ressources, disait-il, mais devant toutes les propositions il faisait la moue. Certes, on ne vit pas avec un mur mais, si l’on y regarde bien, c’est un environnement. De dessins en dessins, d’échéances en échéances, l’affaire traînait et ce mur devint une obsession, au point qu’il décida que pendant ses vacances le copain ferait comme bon lui semblerait et qu’il se plierait à son inspiration.

Et quand il revint, il le trouva en train d’achever son œuvre. Il eut un choc. La violence du thème. Une arme. Pouvait-il s’y attendre ? Et ce fond tout en sinuosités, comme un souvenir des années soixante-dix ? Qu’avait-il fait de son mur ? Il ne reconnaissait rien. Tout l’espace avait une autre configuration. Il était plus que dépaysé : c’était comme s’il n’était plus chez lui. Le mur s’était ainsi projeté, avait fait un bon en avant.

Il ne savait que penser. Une arme…

Il ne fallait rien y voir d’agressif ou de provocateur, disait son copain. L’idée lui était venue en écoutant les Beatles. L’album Revolver. Et du coup, les géométries environnantes étaient l’écho pop d’une époque qu’ils n’avaient pas connue. Rien de plus.

Et lorsqu’il regardait désormais son mur, bien qu’il n’ait guère eu son mot à dire dans l’histoire, il imaginait toutes les gloses qui pourraient en découler dans l’esprit des visiteurs, surtout de ceux qui ne le connaissaient pas. Il y avait là matière. Comme, au hasard, celle d’un gars qui détestait les murs nus jusqu’à ce qu’un copain artiste vienne flinguer le sien.

 

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