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âme

  • De corps et d'esprit

    Ainsi donc en a décidé le législateur, évitant d'en faire la moindre publicité, comme il est habituel pour ce qui change les fondements moraux et les implications politiques des individus. Il s'agit, diront certains, de trois fois rien, et pourtant... Depuis le 1er janvier, sauf expression dûment constatée, c'est-à-dire écrite, tout décédé appartient à la science et le prélèvement d'organes est de facto. La famille, à laquelle, jusqu'alors, on demandait son consentement, quand le mort n'avait rien dit à ce sujet (Ceci concernait particulièrement les jeunes gens, et l'on comprend fort bien qu'à vingt-cinq ans, on ne se pense pas en cadavre, moins encore en vivier thérapeutique), désormais, la famille n'a plus que le droit de se taire. 

    Ce billet est au moins le moyen de préciser que, pour ma part, il est hors de question qu'on puisse me prélever quoi que ce soit. Eût-il été le fruit d'une démarche personnelle, concédé comme acte singulier, je m'y fusse intéressé. À partir du moment où il devient le résultat d'une décision étatique unilatérale, c'est niet. Mon corps n'appartient pas à l'État, moins encore à toutes les officines médicales qui font aujourd'hui leur beurre en manipulant du vivant à partir des morts (sans parler du vivant à partir du vivant). 

    On me dira que c'est manquer singulièrement d'humanisme. Certes, mais je m'en moque : je ne suis pas humaniste pour deux sous. Encore faudrait-il s'entendre sur le terme d'ailleurs, parce que la doxa ultra-libérale dont l'objectif est de rendre tout monnayable use assez aisément, avec l'aide des idiots gauchistes de service, de la corde humaniste pour justifier ses intérêts. Elle vante un progrès salvateur, une nouvelle ère scientifique dont la téléologie tourne autour du rêve d'éternité. En clair, il s'agirait de se voir à l'égal de Dieu. Je vois moins loin : je sais que je suis mortel, que je vais mourir. Je sais aussi que j'ai une âme et que celle-ci ne peut se départir d'un certain dégoût quant à ce souci affiché par les autorités concernant mon bien-être physique. Ce n'est que la poursuite illusoire d'un toujours plus dévastateur.

    Pourquoi mon âme ne céderait-elle mon corps mort au bonheur d'un quidam ? La beauté du geste, ma participation à l'Humanité, etc, etc, etc. Répondons alors que cette marche forcée pour une intégration totale, pour ne pas dire totalitaire, de l'être dans le corps économique d'une société avide de tout recycler me ramène aux analyses successives de MIchel Foucault, de Giorgio Agamben ou de Céline Lafontaine sur cette terreur ultime du pouvoir : la bio-politique. La soumission de mon cadavre aux impératifs du trafic thérapeutique est une des pires choses qui puisse arriver. Reléguer la famille au rang de spectateurs impuissants après la découpe montre fort bien que nos démocraties libérales et scientistes n'ont pas tout oublié des délires nazis (1). Il n'y a rien de plus odieux que de voir l'État vous poursuivre jusqu'au tombeau, parce que vous lui devez tout et que vous n'êtes rien. Cela est à mille lieues de ce que suppose la sacralisation de la mort par le biais du religieux. Là où celui-ci relie, rassemble, celui-là, dans sa forme néo-libérale, joue sur la désintégration morale, affective, sociale et culturelle de l'individu. 

    Dans cette décision, dont on ne fait pas, bien sûr, la publicité, il y a, dissimulé, tous les effets de cette dérive humaniste dont on voudrait nous faire croire qu'elle ne se fonde que sur la propension du pouvoir à vouloir le bien des hommes. De cette humanisme-là, je me suis depuis longtemps méfié. L'homme de Vitruve, de VInci, est l'illustration parfaite (si l'on peut dire) de cette ambiguïté. Derrière la fascination pour la perfection esthétique, il y a, on le sait, une aspiration à un absolu contenu dans un genre humain affranchi de toutes les tutelles. L'intérêt pour l'anatomie du peintre ne répondait pas qu'à des problématiques de représentation. Il s'agit aussi de creuser le mystère du fonctionnement organique auquel pourrait se réduire la magie de cette si étrange machine qu'est l'homme.

    S'occuper des corps exclusivement, ne voir en eux que des ressorts techniques, des éléments utilisables ou transférables, oublier le respect de leur intégrité (ou bien tenir cette intégrité comme une coquetterie égoïste), découpler l'histoire d'une vie avec la dépouille qui en résulte, c'est tomber dans un matérialiste pratique réduisant l'individu, jusque dans le silence de sa disparition, à n'être qu'une ressource, une variable d'ajustement, une opportunité, un système d'exploitation. 

    On s'inquiète régulièrement d'une société de contrôle, d'une numérisation des destinées. C'est une mode que de revendiquer que nous ne sommes pas des numéros. Mais cette angoisse n'est qu'une partie du problème : l'extension infinie des pouvoirs étatiques ou para-étatiques a comme seul but de nous intégrer à un processus marchand où tout peut être transactif (si j'ose ce néologisme).

    On ne s'étonnera pas que ce soit sous un gouvernement de gauche que ces horreurs adviennent. Ces gens sont les plus zélés quand il faut œuvrer, sous couvert d'intérêt général, pour de discrètes officines dont le seul credo tient non en en l'amour du prochain mais à la rationalisation des sources de profit.

     

    (1) Rien de moins et pour ceux que ce genre de propos choquerait, je les renvoie, comme exemple parmi d'autres, au magnifique modèle social-démocrate suédois et à sa pratique sur un demi-siècle de la stérilisation forcée...