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cérémonie des césar

  • Rohmer, autre monde...

    Melvil Poupaud et Amanda Langlet dans Conte d'été

    Samedi soir, 27 février, le cinéma français se congratulait, dans ses illusions d'exception culturelle. Je n'ai pas suivi l'affaire, pour être franc. On connaît la chanson. En revanche, j'ai eu le temps, le lendemain, de voir sur Internet, avant que Canal Plus ne fasse jouer son droit à la propriété intellectuelle (c'est ce qu'on appellera un comique de mots...), l'hommage rendu par Fabrice Luchini à Éric Rohmer, hommage qui ne pouvait être feint tant ce comédien est rohmérien en diable. En fait, il lit un texte d'un critique, le commente à peine, se tient sur une certaine réserve. La caméra scrute régulièrement les visages de l'assemblée et même si les plans sont furtifs, on repère chez beaucoup une impression d'ennui. L'un d'eux mâche un chewing-gum avec une vulgarité spectaculaire. Craignent-ils que Luchini ne devienne grandiloquent ? Son intervention ne dure que trois minutes dix-neuf. Aiment-ils tous Rohmer ? Ont-ils tous vu l'œuvre de Rohmer, au moins quelques films ? Auquel cas, c'est effectivement pénible d'entendre parler de quelqu'un qu'on ne connaît pas, surtout quand l'éloge met en avant sa singularité esthétique et morale. On comprend qu'il est urgent d'en finir et que se referme l'incident. Parce qu'il y a incident quand quelqu'un vient célébrer le cinéma d'auteur, et de cet auteur en particulier, pendant la grand'messe du tout commercial.

    Sans doute y a-t-il eu des images avant (ou après) ces quelques minutes où Rohmer a pris toute la place. Des extraits, des photos. En général, les hommages prennent cette allure de clip ou d'album. Mais il est impossible que, dans une soirée où le temps est divertissement et émotion fabriquée, on puisse s'arrêter plus longuement. Cela aurait été gênant.

    Gênant que fussent, par exemple, projetées les sept premières minutes de Conte d'été, sept premières minutes silencieuses, pendant lesquelles Gaspard (Melvil Poupaud) arrive à Dinard par la vedette, s'installe dans la maison qu'on lui a prêtée, se promène le long de la plage, dans un désœuvrement retenu, joue quelques accords de guitare, mange dans une crêperie où il ne dit pas trois mots à la serveuse, va se baigner et croise la dite serveuse qui l'arrête pour échanger des banalités. Sept minutes d'un silence avec lequel Rohmer joue, sans jamais tomber dans le travers de la sur-signification des plans, filmant son personnage à même un réalisme qui n'a pas d'équivalent. Sept minutes qui auraient appris à beaucoup ce qu'était le cinéma. Et si l'on y avait ajouté les cinq minutes suivantes, quand s'engage la discussion entre Margot (Amanda Langlet) et Gaspard, certaines comédiennes et certains comédiens auraient découvert l'abîme de leur (in)suffisance.

    Mais douze minutes de Rohmer, c'eût été insupportable pour la salle, et pour le téléspectateur.