Il y a quelques jours, j'envoie un texto à une mienne connaissance pour un rendez-vous dans un bar : nous partageons un certain goût pour les bières. Il est matin et l'affaire est prévue à 17 heures. Rien ne presse. N'empêche : pas de réponse. La rencontre tombe à l'eau (si j'ose dire...).
Le lendemain, je le rencontre et il m'explique qu'il n'a reçu mon message qu'à 18 heures 07 (une exactitude ferroviaire...). Nous mangeons ensemble, avec une tierce personne à qui nous racontons l'anecdote, certes fort commune et sans grand intérêt.
Et celle-ci, connaissant les cinq cents mètres qui nous séparent, s'amuse : huit heures pour une telle distance ! Le progrès peut battre, en ses pires moments, plus que des records de lenteur, atteindre des degrés inouïs d'absurdité... Mais elle redevient sérieuse, pour se demander où se nichait le message, pendant tout ce temps.
Certes, quelque cerveau informatique nous expliquerait ceci ou cela, donnerait à l'incertitude une formalisation logique qui bouclerait l'anecdote en un simple incident, une retenue, un blocage, une fausse route, une erreur de circuit. Toute raison est bonne, sans doute.
Mais pour l'esprit vagabond et passablement obtus devant la science du binaire et des flux, il reste le mystère de mots qui flottent dans le temps et l'espace, qui se promèneraient seuls, qui en rencontreraient d'autres, fileraient à droite, ou à gauche, insaisissables, presque rebelles. Des mots batifoleurs, des insoumis de l'ordre. Pourquoi pas ?
Plus sérieusement (c'est-à-dire : plus poétiquement) : des mots détachés de soi et qui, loin de se perdre définitivement, prennent le chemin buissonnier et errent, comme nous errons nous-mêmes, parfois, à ne pas vouloir finir ce qu'on attend de nous. Il y a toujours une mélancolie à imaginer une phrase à la dérive, une magie transitoire et éphémère.
Oui, éphémère, car huit heures, c'est bien peu, dans le fil d'une vie, et d'autres bières nous attendent, et puisqu'il est question de temps, je n'oublie que l'une des préférées de cette mienne connaissance est L'Angélus...
Photo : Ralph Gibson