Il ne peut être question de lui, Giordano Bruno, qu'au présent.
Ses bourreaux l'amènent au Campo de' Fiori le 17 février 1600. Il vient de passer huit années dans les geôles, d'abord vénitiennes puis romaines. Il a la bouche entravée par un mors en bois, pour qu'il ne puisse s'affranchir par la parole et que ses hérésies ne triomphent pas une dernière fois. Il sera brûlé vif.
Sa statue nous fait face, dans la sévérité de la matière et de la pose, le visage penché, le visage comme ouvert sur les multiples ramifications de la pensée qu'il masque. Difficile de savoir si l'œuvre qui lui rend hommage n'a pas, dans sa raideur muette, l'ambiguïté de la repentance qu'il aurait dû avoir le jour où on l'a tué. La foule qui passe jette le plus souvent un œil distrait et ne cherche pas à savoir quel il est, ou bien se dit qu'une telle rigueur ne peut appartenir qu'à un homme d'église.
Il nous fait face, qui sommes dans la rue des Baulari et lorsque nous effectuons un quart de tour sur notre droite, se dressent le drapeau tricolore de l'ambassade de France et le palais Farnèse. On y trouve aussi des bouches entravées, mais c'est là manière de dire car les silences, les amabilités, les circonlocutions, la rhétorique jubilent. Pour tout et pour rien : une réception somptueuse, une inauguration imposante, le ménagement d'un puissant, la négociation autour d'une tête, dont on évalue l'intérêt. Il s'agit là de diplomatie, disons d'une diplomatie avec laquelle nous devons composer, sans avoir, d'ailleurs, vraiment voix au chapitre.
Je regarde une dernière fois la bâtisse dont tant voudraient faire leur demeure puis mes yeux reviennent sur lui, si peu diplomate, si ardent, jusque dans sa mort, alors que le soir tombe, que les étoiles paraissent et que son bronze immémorial se dresse ainsi, comme une ombre, vers l'infinité des mondes.