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lucques

  • Au passage...

     

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    André Dubuffet, Mur aux inscriptions, 1945

    Nous n'avons plus qu'un lointain rapport avec le monde des morts (sinon télévisuels et/ou cinématographiques), avec cette mortalité qui nous habite et dont nous voudrions nier la réalité : l'existence du passager et la vie du putrescible...

    Nous désirons qu'en ce domaine triomphe l'abstrait...

    Or, dans la plein été lucquois, alors que le promeneur quitte l'intra-muros, au détour d'une rue, on a placardé des avis de décès. Des avvisi. Rectangles larges cadrés de noir où se détache, au milieu, un nom.

    Il y en a trois, ce jour, sans photo (il arrive que...) : un homme, deux femmes, -une qui n'avait pas vingt-cinq ans. Leur nom restera au carnet. Le promeneur a pris soin de les noter. Pour soi. Rien de morbide. Certaines rencontres sont d'un ordre qui dépasse l'entendement. Il faut parfois noter, inscrire et garder, parce que ces moyens sont les seuls à notre disposition.

    Cela n'a rien à voir avec le memento mori, comme un miroir que serait l'affiche. En revanche sont poignantes cette discrète (oui, discrète) publicité de la mort douloureuse, l'annonce au monde et la force du partage que représente cet acte. Les avvisi sont tout le contraire du spectaculaire et du désir construit de commissération. Ils sont une survivance de la vraie localisation des individus. Les avvisi sont l'histoire concentrée des noms habités dont on n'a pas envie qu'ils s'effacent. Les murs de la ville portent tout à coup le deuil d'un des siens. Un des  siens qui ne demande rien, ni empathie, ni célébration particulière, que d'être reconnu comme du lieu. Il n'y a rien de triste, rien d'obscur. Au contraire : il est rassurant de ne pas faire semblant. C'est moins notre commune condition que les avvisi nous jettent sous les yeux que l'étrange économie de la disparition dans laquelle s'est précipité le monde contemporain. Ce qui est là doit être su, parce que la mort fait partie de la vie et que le silence n'est rempart de rien, et qu'il est ridicule de feindre. Ce sont plus que des papiers collés sur un mur promis à un arrachage prochain (ne serait-ce que pour le mort qui suit, afin que d'autres prennent la place) : ce sont des monuments, des monuments modestes, transitoires, humains...

  • La littérature dans le siècle (II) : terrasse

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    Qu'il est triste, vénérable Fernando, d'ainsi vous rencontrer, au détour d'une rue piétonne, sous un soleil un peu frais de Lisbonne (il ne pleuvait  pas comme sur ce cliché), dans une posture aussi grotesque (1), le genou replié, comme le ferait n'importe quel quidam affalé ; qu'il est triste de voir autant de gens passer devant vous, bruyants, indifférents, ignorants, peu importe, mais tous, et moi compris, comme de mauvais plaisantins, transformant l'intranquillité dont vous parlez si bien en une cacophonie de marchandage ; qu'il est triste de vous voir ainsi en terrasse, comme si vous étiez employé à haranguer le chaland, pour qu'il boive un verre dans ce café qui croit pouvoir, sans outrecuidance, se prévaloir des heures que vous y passâtes...


    (1)Pour vous consoler, mais cela peut-il se faire, sachez que des barbares, italiens ceux-là, ont agi de la même façon à Lucques, avec Puccini, et c'est d'ailleurs en le revoyant, lui, cet été que j'ai pensé à vous avec autant d'amertume...