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  • Baudruches

     

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    L'automne est la saison des prix. Les prix sont les fruits d'un labeur acharné sans doute. C'est l'heure de récolter.

    Cette semaine, c'était les prix Nobel, l'égrenage journalier des prestiges scientifiques et au milieu de toutes les équations, des formules polynomiales et des espaces infinis, il y a eu le moment glorieux de la littérature, et celui plus particulier d'Alice Munro.

    Il y en aura bien eu, en entendant ce nom, à vouloir l'écrire selon une orthographe blonde, galbée et hollywoodienne, mais cela n'avait rien à voir. L'écrivain canadien n'a rien de très glamour.

    Pendant quelques minutes, il fut donc nationalement question de littérature. Le prix Nobel, c'est le Goncourt, mais en plus grand, en somme, le prestige tarifé, éditorial et vaguement symbolique à l'échelle mondiale.

    Ce n'est pas plus reluisant que les divagations sournoises des vieilles croûtes du Fémina, du Goncourt ou du Médicis. Les mêmes magouilles y apparaissent, les mêmes enjeux de pouvoir y fleurissent et les bookmakers se délectent de faire des paris sur les favoris. Depuis plusieurs années, des noms tournent : Murakami, Philip Roth, Amos Oz, Peter Nadas ou Claudio Magris. On dirait le tiercé ou les Jeux Olympiques. À moins qu'il ne faille y voir la perpétuation infantile des récompenses scolaires, soumettant la littérature à la moulinette de la bonne tenue, et ce serait possible tant la liste des récompensés brille par la propreté des lauréats. Pas de risques qu'ils aillent chercher Artaud, Burroughs ou Michaux...

    Je ne sais si les intéressés en rêvent, ou s'ils y sont indifférents. La première hypothèse est plus vraisemblable. Ils devraient pourtant se rassurer. Le Nobel aura réussi l'exploit de passer outre James Joyce, Virginia Woolf, Vladimir Nabokov, Paul Claudel, Albert Cohen et Jorge Luis Borges (1). Ce n'est donc pas très grave de ne pas en être. Mais cette agitation, ce clapotis autour d'un nom et d'un futur discours à Stockholm traduisent une fois de plus la dérive mercantile et spectaculaire de l'entreprise littéraire, de sa récupération dans le giron des formes commerciales (2).

    Non, ce n'est pas très grave, que de ne pas être nobélisé, que de ne pas entrer dans le club fermé d'une litanie médiocre, souvent, d'auteurs ayant bénéficié d'une reconnaissance qui n'avait parfois rien à voir avec leur talent littéraire.

    Il faut dire que l'affaire avait mal commencé. En couronnant en 1901 Sully Prudhomme, le Nobel avait en quelque sorte signé son arrêt de mort. Outre le nom si bourgeoisement verlainien du récipiendaire (qu'y pouvait-il le pauvre ?), on sentait déjà la pompe, le grotesque et le falsifié. Aller chercher un parnassien pour inaugurer le siècle, c'était peu cohérent. Que le lecteur courageux aille se recueillir sur les vers  prudhommesque et il comprendra sa douleur. Ce ne fut pas le seul impair de l'académie suédoise. Churchill en eut les honneurs, pour des mémoires stylistiquement creux. Le Nobel, c'est de la navigation à vue et un certain art d'accommoder les restes.

    À ce jeu, la France aura eu son heure de gloire. Elle reste la nation-phare. quatorze grands hommes au Panthéon mondial, imaginez. De quoi faire bisquer les nationalistes de tous poils. Dans le détail, l'affaire est moins reluisante. La baudruche se dégonfle. Le torse bombé de l'écriture française, c'est la première moitié du XXe siècle, jusqu'en 1960 : la gloriole de l'entre-deux guerres et la vanité intellectuelle de l'après seconde guerre mondiale. On y trouve des auteurs mineurs ou médiocres (entre Mistral et Mauriac) et des figures : l'ennuyeux trio Gide, Camus et Sartre. En clair, le Nobel traduit malgré lui ce que fut l'outrecuidance française à vouloir donner la leçon, le comble de cette prétention étant atteint par le sus-nommé Sartre qui refusa le prix parce qu'il ne voulait pas être une institution (alors même qu'il était dans l'univers des Lettres françaises d'après-guerre le commandant en chef de la Terreur).

    Depuis, il faut croire que l'image hexagonale a pâli, avec seulement trois récipiendaires : Claude Simon en 1986, comme la queue de comète d'une écriture en boucle lassante, fatiguée et mécanique ; Gao Xingjiang, dont l'œuvre est en partie écrite en chinois, ce qui doit inciter à un peu de modestie ; Le Clézio, enfin, dont la célébration sonne comme une gifle pour la moindre âme sensible à la littérature. Le Clézio en Nobel, c'est la récusation de toute pensée sur le style. C'est le mainstream littéraire des bons sentiments et de la prose facile. À ce point, la gloriole des Lettres nationales est tombée si bas qu'on n'espère pas avant longtemps que le plat repasse.

    Mais, de toute manière, l'hexagone a son propre jeu. Dans un mois, le début du cirque littéraire. Et de repenser qu'il y a un mois, c'était justement la rentrée, pas celle des mômes mais de la littérature. Rentrée, prix... Ne manque plus que le tour de manège...


    (1)Je m'en tiens ici à des auteurs ayant vécu suffisamment vieux pour que la négligence frise la bêtise. Il faut en revanche être de mauvaise foi pour invoquer les oublis de Proust ou Perec, morts jeunes, de Kafka ou Pessoa dont l'œuvre est essentiellement posthume.

    (2)Même si, pour le prix Nobel, certaines attributions regardaient une littérature confidentielle, comme la poésie de Brodsky ou de Derek Walcott, et que les perspectives éditoriales ne pouvaient pas être phénoménales. Le choix relevait ici de la beauté du geste...


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