Ses défenseurs disent qu'elle est brillante, intelligente, très diplômée. C'est une femme, qui plus est une image de la diversité française. Elle a tout pour elle. Elle est ministre de la Culture. Non pas qu'elle soit cultivée mais il faut des signaux forts, et la culture, la gauche en a fait depuis longtemps sa chasse gardée. Hors de ses jugements, de ses diktats, de ses préférences, de ses avant-gardes, point de salut. On se rappelle la France Jack Languisée, à coup de créateurs (1), de fêtes de la musique, de journée du patrimoine, de festivals divers, par monts et par vaux.
Pour l'heure, la juge en chef est donc une femme, puisque l'avenir est artiste, féminin (2), open mind (comme on dit quand on a perdu la langue). Elle s'appelle Fleur Pellerin. Elle est nulle et technocrate ; elle avoue avec un aplomb certain avoir rencontré le dernier prix Nobel Patrick Modiano et n'être pas capable de citer un seul titre de ses romans, ce qui laisse à penser qu'elle n'en a jamais lu une ligne.
Nonobstant la discussion sur la grandeur littéraire relative de Modiano (3) et le prestige encore plus relatif de la récompense (4), cet aveu assumé ne montre pas seulement l'inculture de la ministre ; il révèle son mépris patent pour ce qui touche à son domaine de compétence (mais, déjà, parler ainsi fait tomber l'art dans la bureaucratie). De la littérature, elle n'a que faire. La brillante n'a pas pris une heure ou deux (les livres de Modiano sont courts) pour faire illusion. Elle n'a pas à faire illusion. L'enjeu est ailleurs. Elle était, précédemment, en charge du numérique. Dans sa tête, les enjeux sont économiques. Le flux, les échanges, la sécurisation des données, le déversement en continu des informations comme matière monétisable, la transaction généralisée, voilà son domaine... Dans ce monde-là, Modiano, ou un autre, n'a pas sa place. Les livres sont morts, les écrivains sont des has-been. Modiano n'est qu'une rencontre, un dîner mondain, une inauguration de médiathèque. C'est un ruisseau. Ce n'est rien...
Fleur Pellerin est bête. Elle n'est pas la première, mais, comme d'autres il est vrai, elle assume son ignorance, elle la revendique, à l'instar de cette jeunesse que l'on voudrait ouvrir à la culture et qui s'en moque (pour ne pas utiliser des formules plus crues). Les extrêmes se rejoignent. Le sommet de l'État méprise le savoir qui pourrait se retrancher du marché, ne pense qu'au fric, un peu comme la racaille de banlieue qui trafique ou rêve de foot. Dans les deux cas, l'idiotie triomphante se pavane...
Il n'y a rien à espérer d'une telle évolution, sinon à prendre le parti de se retrancher dans le passé des Lettres, de la peinture et de la musique.
(1)Il n'y a plus d'artistes, mais des créateurs, ce qui permet d'inclure tout et n'importe quoi, à commencer par des princes de la confection et autres dessinateurs de fringues.
(2)Sans doute un souvenir mal digéré de la poésie d'Aragon (ou de sa version chantée, puisque les chanteurs valent les poètes...)
(3)Modiano, c'est un peu comme Duras : trois livres intéressants (ou disons : pour le moins curieux) puis la répétition, le gimmick de la redite décalée, comme un papier peint qui jouerait sur une légère variation du motif. On ne peut pas dire que cela fasse style, sauf à mettre le décalage comme modèle esthétique absolu. Mais n'est-ce pas dans l'air du temps...
En fait, Modiano plaît, comme Annie Ernaux, pour sa simplicité stylistique, ce qui le rend, sur un premier plan, facile à lire. Mais il réjouit aussi certains universitaires qui peut, comme avec Emmanuel Carrère, frôler l'interdit et l'embrouille, sans passer pour un esprit douteux. Il faut avoir les avoir vus et entendus se gausser des expériences narratives de Modiano pour éviter de parler du fond, de cette étrange tentation d'une réécriture ambiguë de l'histoire qui mérite, elle, un débat bien plus grave. Mais Modiano, c'est le Céline d'une recherche universitaire sans envergure...
Quant à donner le Nobel à Modiano, c'est tout juste moins risible que de l'avoir filé à Le Clézio. Mais vraiment tout juste. Seuls les éditeurs et les libraires en tireront momentanément profit...
(4)Les lumières du Nobel ont manqué Nabokov, Cohen et Borges. La liste pourrait être plus longue mais ces trois "oublis" suffisent pour leur retirer tout crédit.