Nerval n'est pas un poète romantique mineur. Il n'a pas, comme beaucoup de ses contemporains, le vers facile. Ses Chimères, douze poèmes pas plus, maintes fois remaniés, dont le plus connu est El Desdichado, sont la recherche intense d'un monde idéal, syncrétique, dans lequel les lieux, les temps, les symboliques s'entrecroisent. Il y contourne le chagrin et les douleurs personnels pour sublimer comme personne les quêtes sans cesse recommencées. La virtuosité et l'hermétisme ne sont pas des jeux mais des signatures de l'impossible éprouvé, et, malgré cela, malgré ce que nous donne la biographie, pour pouvoir mesurer la profondeur de cette beauté si dense il faut oublier le tragique qui traversa son existence jusqu'à son terme. C'est ainsi qu'il nous est le plus proche.
DAFNÉ
La connais-tu, Dafné, cette ancienne romance,
Au pied du sycomore, ou sous les lauriers blancs,
Sous l'olivier, le myrte, ou les saules tremblants,
Cette chanson d'amour... qui toujours recommence ?
Reconnais-tu le Temple au péristyle immense,
Et les citrons amers où s'imprimaient tes dents,
Et la grotte, fatale aux hôtes imprudents,
Où du dragon vaincu dort l'antique semence ?...
Ils reviendront, ces Dieux que tu pleures toujours !
Le temps va ramener l'ordre des anciens jours ;
La terre a tressailli d'un souffle prophétique...
Cependant la sibylle au visage latin
Est endormie encor sous l'arc de Constantin
- Et rien n'a dérangé le sévère portique.