usual suspects

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

romantisme

  • La grâce de l'amitié (autour de Brahms...)

    Janos Starker et Gyorgy Sebök étaient amis. Le premier vivait depuis longtemps aux États-Unis, le second venait de fuir la Hongrie mise en coupe réglée par les soviétiques, lorsqu'ils enregistrent cette composition. Leur complicité donne élan et retenue à une des plus belles œuvres de Brahms  parce qu'une sonate alliant avec brio piano et violoncelle double, si l'on peut dire, la magie d'un genre exigeant et sévère (1). Le premier mouvement, en particulier, est d'une beauté à couper le souffle...


     

     

    (1)Bonheur du web : pour la même œuvre, il est possible d'écouter une autre version habitée par une complicité émouvante, celle de Jacqueline du Pré et Daniel Barenboïm.

  • Bruckner, monde proche...

    Parce que les ritournelles hollywoodiennes, du temps béni du cinéma, ont familiarisé les spectateurs avec les envolées lyriques et les compositions-paysages, la musique symphonique de l'ère romantique a souffert d'une certaine dévalorisation. Brahms, Mahler, entre autres. Et Bruckner, peut-être plus que tous. Certaines interprétations n'ont pas arrangé l'affaire, en faisant traîner infiniment des adagios pour en faire un sirop indigeste. Nous avions déjà évoqué le cas mahlerien avec l'interprétation géniale de Mengelberg pour l'adagietto de la 5e. 

    Ce qui suit relève de la même logique. Furtwangler dirige le Philarmonique de Berlin. Nous sommes en 1942, autant dire un monde antédiluvien pour un contemporain qui balance ce qui a été produit l'année précédente. 1942 : un son qui n'a pas le lisse du numérique. Mais tout y est : la profondeur des cordes, la charge discrète des cuivres, l'élégance d'une tenue orchestrale. Un maître dirige le 2eme mouvement de la 7e symphonie de Bruckner, une impression à la fois proche et différente de la version mise  en ligne sur ce blog. Un bonheur qui n'en finit pas.



  • Nerval, le passé perpétuel

    Nerval n'est pas un poète romantique mineur. Il n'a pas, comme beaucoup de ses contemporains, le vers facile. Ses Chimères, douze poèmes pas plus, maintes fois remaniés, dont le plus connu est El Desdichado, sont la recherche intense d'un monde idéal, syncrétique, dans lequel les lieux, les temps, les symboliques s'entrecroisent. Il y contourne le chagrin et les douleurs personnels pour sublimer comme personne les quêtes sans cesse recommencées. La virtuosité et l'hermétisme ne sont pas des jeux mais des signatures de l'impossible éprouvé, et, malgré cela, malgré ce que nous donne la  biographie, pour pouvoir mesurer la profondeur de cette beauté si dense il faut oublier le tragique qui traversa son existence jusqu'à son terme. C'est ainsi qu'il nous est le plus proche.


    DAFNÉ


    La connais-tu, Dafné, cette ancienne romance,
    Au pied du sycomore, ou sous les lauriers blancs,
    Sous l'olivier, le myrte, ou les saules tremblants,
    Cette chanson d'amour... qui toujours recommence ?

    Reconnais-tu le Temple au péristyle immense,
    Et les citrons amers où s'imprimaient tes dents,
    Et la grotte, fatale aux hôtes imprudents,
    Où du dragon vaincu dort l'antique semence ?...

    Ils reviendront, ces Dieux que tu pleures toujours !
    Le temps va ramener l'ordre des anciens jours ;
    La terre a tressailli d'un souffle prophétique...

    Cependant la sibylle au visage latin
    Est endormie encor sous l'arc de Constantin
    - Et rien n'a dérangé le sévère portique.


     

  • Zimerman, le bonheur incertain

     

    Faire simple, quand tout est compliqué. Le plus difficile...



     

  • Turner, la trace

    Turner, vue du Mont Gennaro, 1819

     

    Turner, c'est évidemment le peintre improbable, quand on considère l'époque où il vécut, d'une réalité vaporisée, diluée dans une couleur qui avale les formes, les repères spatiaux, au point que, parfois, on penserait à une œuvre non figurative. L'approche d'une peinture livrée à sa propre matière. Ce n'était pourtant pas tout que cet homme, avide de reconnaissance académique, a peint. Il a aussi un univers classique, constitué d'une application assez stricte de l'art du dessin. comme s'il y avait eu en lui, exacerbée, la lutte du trait et de la couleur, une face Rubens, une face Poussin (il s'agit bien sûr d'une présentation schématique qui n'implique la reprise des techniques de l'un ou l'autre). On y trouve, parfois, une sorte de préciosité (notamment dans ses vedute vénitiennes) qui finit par lasser. Il y a aussi d'innombrables tableaux devant lesquels on éprouverait l'aspiration vertigineuse de la vitesse ou celle plus paralysante de la contemplation d'un paysage que l'atmosphère liquifiée décompose.

    La Vue du Mont Gennaro n'a pas l'ambition des œuvres les plus célèbres. C'est une aquarelle qui rappelle certes le goût de Turner pour les espaces infinis, pour une nature sublimée selon la tradition romantique. L'œuvre est anecdotique, d'une certaine manière. Mais elle porte une énigme, une sorte de punctum pictural (quoique la référence barthésienne soit approximative parce que ce punctum-là est au delà d'une simple résolution individuelle) : le rectangle très allongé, dans le premier tiers gauche du tableau. Ce petit pan de peinture jaune qui flotte dans l'espace sans qu'on puisse lui attribuer la moindre raison d'être, le moindre sens figuratif (comme serait la tour d'un ancien édifice). Rien que l'on puisse identifier, mais qui est , verticalité radicale dans une horizontalité qui estompe même la puissance du mont Gennaro. Petit pan trop visible, trop bien dessiné, dans une œuvre par ailleurs assez pauvre en accroches, pour qu'on puisse croire à une erreur, à une lubie, à une inconséquence. S'agit-il d'un message crypté ? d'un jeu ? d'une perversité de Turner pensant à l'agacement du spectateur face à cette trace insoluble (dans tous les sens de l'adjectif) ? Ce n'est pas un simple détail. C'est autre chose. Et chaque fois que le regard vient se fixer lui, comme sur une cicatrice qui n'en finirait d'agacer, la résistance se fait plus forte, le plaisir plus tendu de devoir reconnaître son impuissance.

    Souvent, nous nous disons : There is more to the picture than meets the eye, et en vertu de cette infériorité reconnue du regard, nous nous échinons à l'étude et nous sentons le triomphe poindre lorsque quelque chose passe de l'invisible au visible, tout en admettant que nous sommes encore loin du but. Mais il y a donc des œuvres sur lesquelles l'esprit n'a pas à se forcer pour voir, puisque tout est mis à plat, devant nous, comme une évidence. Et cette évidence est justement l'écueil suprême qui hante notre insatisfaction (1).


    (1) L'exemple le plus remarquable en la matière est sans conteste La Tempête de Giorgione dont près de cinq siècles d'érudition n'ont toujours pas percé avec certitude le sujet.