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nicolas sarkozy

  • Impunément...

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    Si faillite politique il y a, en ces temps présents, l'une de ses origines, au delà de la déprise de la classe politique sur le monde et du fait qu'elle n'exerce plus, sur bien des points, qu'un ministère de la parole (ce ministère vide que Giscard d'Estaing reprochait à Mitterrand quand celui-ci était dans l'opposition), pliée qu'elle est aux impératifs d'un marché ultra-libéral triomphant, l'un de ses origines donc tient à l'art consommé que nos ténors déploient à pouvoir ignorer un certain réel, celui fort discutable sans doute, de l'espace médiatique et de leurs paroles médiatisées. 

    Le degré d'oubli dans lequel ils se complaisent et se croient autorisés à vivre est tel que leurs commentaires et leurs gestes sont nuls et non avenus par le seul fait de leurs desiderata. Ils n'existent plus que dans le flot d'une parole immédiate ; la mémoire ne leur échappe pas mais elle est une donnée périmée, un souvenir sans épaisseur, un argument sans légitimité. Leurs mots s'en tiennent à une immédiateté si forte que c'est désormais le tweet qui tient lieu de pensée. La politique en cent quarante signes. Grotesque ? Peut-être, mais dans le fond est-ce si caricatural ?

    La déperdition du contenu passe par le rétrécissement de son étendue. Certes, la brièveté était une forme d'esprit, chez les Classiques. Encore ceux-ci avaient-ils de l'esprit ? Nos politiques cherchent au mieux à être spirituels, à faire des phrases. De petites phrases, tout au plus, pour de petites intelligences.

    Et quand le contenu est étriqué, il reste les formes faciles d'une rhétorique potache qui sent bon les explications rassis d'un formalisme creux. Hollande prétend n'avoir pas de culture littéraire. Quant à Valls, il se targue d'un 5 à l'épreuve anticipée de français. C'est en contrepoint de ce relevé anecdotique qu'on ne s'étonnera pas de la fascination gouvernementale pour l'anaphore. Rien de plus facile que l'anaphore, en effet : c'est lancinant et mémorisable. On croirait presque à un effet poétique. Une poétique d'école primaire ou de surréalistes. Pourquoi pas ?

    On voit dans quelle direction l'affaire tourne : le trois fois rien technologique et la répétition pavlovienne. On se réjouit : la démocratie prend une forme aphasique. On tue le langage comme on neutralise le droit à l'expression. 

    Malgré cette tendance à vouloir occuper l'espace médiatique avec du vide, nos ectoplasmes ne peuvent s'empêcher de se trahir eux-mêmes, tout en sachant que cela laissera des traces (ce qui inquiète fort : l'électeur moyen est-il à ce point idiot ? Il faut croire que oui...). Ainsi, la semaine passée, se sont télescopés deux propos tenus de part et d'autre des fondrières du pouvoir.

    Commençons par le retour énervé de Sarkozy qui, dans un élan généreux et vaguement délirant, a promis de redonner la voix au peuple, de brandir la logique référendaire tous les quatre matins. Il était sérieux et habité, sur son estrade, et ses partisans applaudissaient à tout rompre comme des abrutis qu'ils sont. Car il fallait réduire d'une manière démente le passé, la réalité et les faits pour oublier l'homme qui, après le non de 2005, avait convoqué le Congrès afin que, gauche et droite confondues (entendons : la gauche et la droite responsables, pas les anars, les fachos, les rêveurs, ou, plus simplement, les esprits critiques et démocrates) nos élus fassent sécession d'avec l'expression populaire. Des élus du peuple contre le peuple. Et celui qui venait, l'autre soir, nous chanter des lendemains de libre expression est le seul, je dis bien le seul, à avoir usé de la constitution de la Ve République pour supprimer la démocratie.

    Par le plus grand des hasards, et comme l'envers de la carte qu'on appellera le mistigri, je revoyais le lendemain le clip de campagne de la normalité. Un beau clip, une belle construction mythologique, teintée d'un révisionnisme historique classique (Ferry sans les colonies, le Front Pop sans son allégeance à Pétain, et de Gaulle, le Caudillo du Coup d'État permanent, sur qui on ne crache plus...). De l'emphase anaphorique (il ne peut pas faire plus, le pauvre, sinon on doute qu'il retienne ce qu'il faut dire...) et un point d'orgue. 


     

    Cela s'entend entre 1'15 et 1'22 : "le redressement, c'est maintenant. La justice, c'est maintenant. L'espérance, c'est maintenant. La République, c'est maintenant". Passons sur les trois premières illusions. Seule la dernière phrase m'intéresse. Que peut-elle signifier ? Que les cinq ans qui s'étaient écoulés étaient contraires à la République, que Sarkozy était un dictateur, un fasciste qui avait confisqué le pouvoir... La verve poussive d'une campagne électorale permet-elle de tels excès et surtout, de telles contre-vérités ? Car s'il en était ainsi il fallait, aussitôt élu, arrêter Sarkozy et le juger pour haute trahison. Les mots doivent être peser, surtout quand on est homme politique, sans quoi les débordements dont on est l'origine interdisent de borner l'éventuelle folie des autres.

    Reste une possibilité : "La République, c'est maintenant" induit qu'il fallait la rétablir, qu'elle avait été effectivement bafouée. Par un Congrès inique, par exemple. Mais lorsque le normal président se déchaîne ainsi et nourrit la caricature de l'anti-sarkozysme qui ne pouvait être que sa seule arme tant il était, lui, insipide, il oublie, et se donne le droit d'oublier, qu'il fut le complice objectif de ce déni de République...

    "Plus l'abus est ancien, plus il est précieux" écrivait Voltaire. Plus la traîtrise est forte, plus la facture sera élevée. Le goût de l'impunité ne peut demeurer plus longtemps. Si l'ère communicationnelle doit avoir un usage salutaire, c'est en replaçant les mots au cœur du débat. Mentir n'est pas interdit, y compris en politique, mais, de même qu'on ne peut invoquer l'ignorance de la loi, on ne peut, surtout en politique, tabler sur l'oubli et la conjuration des amnésiques. 

     

    Photo : Fred Giraud.

  • Populisme (substantif masculin)

     

    Le festival continue. On en parle une dernière fois, on relève une dernière fois la gangrène journaleuse et on passera à autre chose, définitivement. Il s'appelle Michaël Darmon. Il est l'analyste politique d'I-Télé. Il vient commenter à la mise en examen de Nicolas Sarkozy dans l'affaire Bétancourt. Cette décision vient après l'ouverture d'une enquête préliminaire touchant Jérôme Cahuzac. Et qu'en tire-t-il comme conséquence ? Que « c'est une mauvaise semaine pour la démocratie, et une bonne pour le populisme ». Christophe Barbier, le bavard creux qui trône sur les plateaux et dirige L'Express, est sur le plateau et acquiesce.

    La démocratie et le populisme en rivalité. Soit. Mais le problème est ailleurs. Car concevoir que la semaine qui s'achève est un coup dur pour la démocratie signifie de fait que l'inculpation d'un politique, que la demande judiciaire à ce que des élus ou des dirigeants rendent des comptes sur le agissement est une atteinte à la démocratie. Ni plus, ni moins. Cette casuistique jésuite est bien plus redoutable que l'homélie du nouveau pontife. Elle fonde le caractère d'exception qui structure désormais l'appareil pseudo démocratique. Carl Schmitt est consacré. La démocratie est en danger quand la justice essaie de faire son travail. On la dit faible quand elle ne sanctionne pas assez Rachid qui deale, Renaud qui trafique, Mamadou qui vole ou Paul qui escroque, quand le quidam du bas de l'échelle ne reste pas dans les clous ; elle est outrancière quand elle s'interroge sur les agisssements de Jérôme ou Nicolas.

    De fait : le populisme, ce n'est plus le fascisme supposé de ceux qui expriment leur défiance vis-à-vis des partis et des dirigeants de la social-démocratie pourrie (et cette défiance passe aussi par l'abstention et la réflexion, pas seulement par l'agacement épidermique et le vote frontiste...) ; le populisme dans la bouche d'un journaliste commence là où, dans un esprit de caste médiatico-politique il faut protéger les sortants. Le populisme, ce n'est plus une théorie politique, une filiation idéologique ; c'est la figure de l'ennemi. Le populiste, c'est le bourgeois des staliniens, transposé en régime social-libéral de l'entre-soi UMPS et médias réunis.

    Le petit Darmon bredouille une antienne nauséabonde faite pour incriminer ceux qui demandent, non pas le mariage pour tous, mais la justice pour tous. Celle-ci est autrement plus problématique à offrir que celui-là. Le populisme sociétal passe beaucoup mieux que l'aspiration à plus d'égalité devant la loi.

    Le statut juridique du président de la République (concession exorbitante d'un président de conseil constitutionnel de « gauche » -Roland Dumas- à un président de « droite » -Jacques Chirac) n'est pas le seul pare-feu. L'engeance journaleuse, quand le droit constitutionnel n'y suffit plus, vient à la rescousse. Et cela, ce n'est pas du populisme. Que non ! C'est un sens de l'État, une raison d'État ! Mais elle est rampante et fielleuse. Rien à voir avec ce qu'on définit comme le populisme, cet hydre qui en voudrait tellement à la démocratie...