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nous n'avons jamais été moderne

  • Philosophie du formol

     

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    "Puisque tout ce qui passe est éliminé à jamais, les modernes ont en effet le sentiment d'une flèche irréversible du temps, d'une capitalisation, d'un progrès. Mais comme cette temporalité est imposée à un régime temporel qui va tout autrement, les symptômes d'un désaccord se multiplient. Ainsi que Nietzsche l'avait remarqué, les modernes ont la maladie de l'histoire. Ils veulent tout garder, tout dater, parce qu'ils pensent avoir rompu définitivement avec leur passé. Plus ils accumulent les révolutions, plus ils conservent ; plus ils capitalisent, plus ils mettent au musée. La destruction maniaque est payée symétriquement par une conservation tout aussi maniaque. Les historiens reconstituent le passé détail après détail avec d'autant plus de soin qu'il s'est englouti à jamais. Mais sommes-nous aussi éloignés de notre passé que nous voulons le croire ? Non, puisque la temporalité moderne est sans grand effet sur le passage du temps. Le passé demeure donc et même revient. Or cette résurgence est incompréhensible aux modernes. Ils la traitent alors comme le retour du refoulé. Ils en font un archaïsme. "Si nous n'y prenons garde, pensent-ils, nous allons revenir au passé, nous allons retomber dans les âges obscurs." La reconstitution historique et l'archaïsme sont deux des symptômes de l'incapacité des modernes à éliminer ce qu'ils doivent pourtant éliminer pour avoir l'impression que le temps passe."

    Bruno Latour, Nous n'avons jamais été modernes, 1991 (1997)


    Photo : Pol Ubeda.