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pascal praud

  • La Politique en short...

    L'une des hypocrisies, pour ne pas dire mensonges, les plus remarquables du triomphe libéral réside en l'édification d'une croyance relayée par les sphères économique, politique et médiatique : l'accroissement du choix, l'embarras délicieux devant la multiplicité des offres. Ce n'est pas sans raison que les opérateurs télévisuels du cable proposent des bouquets de chaînes (1). La vie est donc, sous cet angle, un jardin magnifique d'opportunités (autre grand poncif de la doxa...).

    Et l'on pourrait faire le parallèle avec l'aussi fameuse loi marketing des déclinaisons. Un seul objet, une seule forme, mais une kyrielle de variations en surface, à commencer par la couleur. La déclinaison est une adaptationpauvre du design tel que le concevait un Raymond Loewy ; c'est l'effet choc au moindre coût et l'illusion vendue de ma singularité. L'esthétique est un prétexte, d'autant plus dérisoire que le mauvais goût est devenu une règle dans la mesure où les principes démocratiques du jugement atomisent toutes les hiérarchies. Sur ce point, le renoncement à la moindre réflexion sur la beauté, ses critères et ses ordres, renoncement indispensable pour que l'art contemporain puisse être rentable et rentabilisé (2), a permis aux idiots de parader et aux incultes de se croire intelligents et cultivés (3).

    La télévision, pour revenir sur ce point, s'est peuplée de planètes infinies, et l'on nous promet l'univers. Pourquoi ? Pour quoi faire ? Est-il nécessaire de croire que tout nous est accessible, tout à portée de mains. Il n'est pas nécessaire de revenir sur le diagnostic de l'abrutissement des masses et sur le débat ouvert par l'École de Francfort qui voyait déjà dans le cinéma un diable. Ne considérons pas la totalité pour essayer d'en saisir la fatuité. Il suffit sans doute de s'arrêter sur un exemple, double, pour mesurer que non seulement la multiplication des chaînes n'est pas celle des pains mais que l'abêtissement des masses n'est pas un leurre.

    Le CSA a refusé il y a peu l'accès au réseau TNT à la chaîne d'informations LCI, laquelle disparaîtra vraisemblablement, ce qui n'est pas très grave au demeurant. Les considérations économiques ont prévalu. Les bonnes places étaient déjà prises. Il ne fallait pas rompre l'équilibre. La France, cette si belle démocratie, a déjà deux chaînes info en continu. Restons dans la mesure. Les Français ont déjà la possibilité de s'informer, d'être en alerte à toute heure. Le progrès est déjà immense, paraît-il, si l'on veut penser à ce que fut l'horreur des générations précédentes qui ne connurent que l'hertzien, et plus loin dans le temps, les seules chaînes publiques, et encore plus loin : la terreur gaulliste de l'ORTF (4).

    La vigueur informative est donc mesurable à l'aune de ces Castor et Pollux télévisuels : BFM et i-Télé, et le pays a lieu d'être rassuré sur son état de santé intellectuelle. Il va mieux que bien, comme disait un célèbre humoristique du CAC 40. Quoique...

    En y regardant (et rapidement) de plus près, le doute s'installe. Il suffit de s'attacher au contenu de la si fameuse tranche horaire du 20 heures. D'un côté, sur BFM Ruth Elkrief et son orchestre, de l'autre, sur i-Télé, Pascal Praud et sa bande. De quoi est-il question, chez l'une et chez l'autre ?

    Avec Elkrief, c'est le 20 heures politique. On y entend une troupe d'agités, pseudo experts de la vie politique, déblatérer à qui mieux mieux sur les faits du jour, sur les insignifiances verbeuses de la classe politique. C'est de la discussion de comptoir. D'une phrase, d'un mot, faire toute une histoire. Non pas à la manière d'une exégèse biblique, ce qui suppose une solide culture et un sens maîtrisé du temps et des symboles. Ce ne sont pas d'éminents cardinaux qu'on entend autour d'Elkrief. Tout juste pourraient-il balayer l'église (et encore...). Les écouter une fois revient à expérimenter l'art de ne rien dire. Ils oscillent entre la fausse ironie et l'air confit de ceux qui, enfin, nous révèlent l'essence du discours politique. La vacuité se double d'un art même pas subtil de la broderie. Umberto Eco avait, il y a longtemps, mis en garde contre les dangers de la sur-interprétation. Ils feraient bien de le relire, ces braves gens, ces sémioticiens de pacotille. Certes, il faut leur reconnaître un mérite certain : trouver de la matière dans une phrase de Cécile Duflot, Christophe Cambadélis ou Luc Chatel, une matière qui, chaque soir, est montée (comme des blancs en neige) jusqu'à des sommets nous faisant croire alors que le sort du pays est en jeu, ce travail-là mérite le respect (5). On pourra évidemment se demander s'ils croient en ce qu'ils disent, et sont donc complètement idiots, ou s'ils jouent la comédie, et sont alors de simples cyniques. Autant ne pas s'aventurer sur ce terrain. Mais cette tablée joyeuse, pleine de connivences et de certitudes, débattant faussement sur le rien, telle est donc la quintessence de l'information définie par la « première chaîne d'informations de France ». Tout un programme.

    C'est pour cette raison que le curieux, le lendemain, s'en va voir si ailleurs l'herbe est plus verte, la substance plus généreuse. Et en parlant d'herbe, on est dans le vrai puisque chaque soir, sur I-Télé, il est question de pelouse, de gazon. La France à l'heure du jardinage ? Que nenni ! C'est 20 H Foot... Le maître de cérémonie s'appelle Pascal Praud, nous l'avons dit. Ses invités débattent de la pubalgie de Zlatan, des choix de van Gaal à MU, des incidences du départ de Diego Costa de l'Atletico, et du niveau de l'arbitrage hexagonal. Des questions sérieuses, épineuses, profondes, méritant moult tours de rhétorique, des querelles de Clochemerle, des choix quasi philosophiques, des rappels à l'ordre, des bannissements, et j'en passe... La fatuité des discussions et le sérieux, plein de componction, des intervenants comptent moins que le fait même qu'elles reviennent chaque soir, comme un pain quotidien. Sur I-Télé, la continuité nationale tient à l'exégèse du une-deux et du ciseau retourné. La débandade économique n'est rien ; le délitement social, rien ; les tensions internationales, rien encore. L'accession à l'ère de l'info en continu n'avait qu'une finalité : permettre au football de devenir l'alpha et l'oméga des préoccupations citoyennes. Ceux qui pensent encore que l'avènement de la démocratie télévisuelle et connectée ne consacre pas le triomphe de l'imbécillité et de l'abrutissement, la mise au pinacle du décervelage au carré, ceux-là vivent dans un déni de la réalité. Le football comme phare de la pensée. Misère de misère.

    On en est là : la logorrhée des prétendus experts politiques, chez les uns, les exclamations des philosophes footeux, chez les autres. Au moins le temps étroit (je sais, je sais) de l'ORTF nous épargnait ces tristes sires. Que dire de plus ? Si, une dernière chose, une toute petite chose, une ultime ironie du temps. Ça se dispute, l'émission vedette de I-Télé, là même où Zemmour s'est construit une étoffe de penseur incontournable, est justement animé par Pascal Praud. Comme quoi, il n'y a peut-être pas à s'étonner. Jeu politique et partie de foot, c'est l'équation des temps sinistres...

     

    (1)Ce qui ouvre à un jeu de mots qu'on aurait loisir d'exploiter ainsi : de la télévision en constellation comme le signe magique de l'aliénation.

    (2)Le second terme étant plus important que le premier : c'est là que se tient la plus-value, grasse et grosse comme jamais en temps de crise (mais il est vrai que la crise est permanente. Ce n'est donc plus une crise, plutôt un mode de fonctionnement).

    (3)C'est aussi par ce biais que l'instruction a perdu toute sa validité. Ce ne sont pas seulement les programmes que l'on a vidés de contenu, les redéfinitions pédagogiques qui ont déraciné des élèves. Le marché, en s'accaparant les symboles les plus faciles de la démocratie, a rendu le quidam fier de lui alors même que son esprit est creux. Mais il est vrai qu'il sait s'habiller en marques et qu'il croit être un élégant. N'est pas Brummel qui veut et le dandysme contemporain est à mourir de rire...

    (4)C'est bien connu : les gens de ma génération, et de celle qui nous a précédés, n'en parlent pas sans effroi, comme d'un temps stalinien, une période glacière, un autre monde. Au fond, de Gaulle et la RDA (ou les Khmers rouges, ou Mao, ou les divers libérateurs de l'Afrique post-coloniale : enfin tout ce que la gauche libertaire a défendu), c'est la même chose. Sauf que de Gaulle, c'était pire... Je me demande seulement comment il se fait que nul autour de moi n'ait été porté disparu... Je n'ai pas non plus souvenir d'un exode massif...