usual suspects

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

réforme des retraites

  • La guerre plutôt que la guerilla

    Ainsi l'heure est-elle grave ! Depuis le début de la semaine, tout irait à vau l'eau si les autorités gouvernementales (1) ne veillaient au grain, faisant montre d'un sang-froid et d'une détermination dont il est bien sûr le premier à faire la publicité, rejoint par les gens de bonne foi. Il faut reconnaître que le système discursif des instances dirigeantes est particulièrement rôdé. Pendant que les ministes et autres caciques de l'UMP dénoncent avec une certaine retenue les exactions pour souligner qu'il n'est pas dans ses intentions de faire l'amalgame entre la jeunesse lycéenne dans son ensemble et de petites bandes organisées s'infiltrant pour casser et piller, les relais médiatiques, à coup d'images spectaculaires et de commentaires hyperboliques, nous suggèrent que les débordements sont d'une extrême violence, qu'ils transforment Nanterre (un peu) et le centre de Lyon (surtout... Pour une fois le provincial pique la vedette au parisien...) en zone de quasi non-droit. Ce ne sont plus des agitations bon enfant, des frictions, mais une guerilla urbaine se développant dans un climat insurrectionnel.

    Des journalistes assument donc un rôle que je qualifierai de « maternel » : ils chargent la barque affective d'un surplus d'inquiétude où semble se jouer l'avenir de la nation. L'oikos est péril, la maison en feu. À ce titre on ne dira jamais assez combien les brumes lacrymogènes sur la place Bellecour ont dû affoler la bien-pensance de gauche comme de droite qui nourrit facilement son fantasme du chaos comme elle le fait en se délectant des émissions de plus en plus nombreuses sur les tueurs (en série ou non). Le monde n'est plus sûr. La lacrymo n'est que le signe précurseur d'un territoire promis à la destruction si l'on n'y prend pas garde.

    Ce point est d'autant plus terrifiant que pour la plupart les meneurs viennent de la banlieue honnie, de ce no man's land politique que la droite n'a jamais considéré autrement qu'en nid d'agités incultes, que la gauche a flatté pour des visées électoralistes sans jamais avoir su/voulu mener une vraie réforme structurelle (2). Il s'agit bien de territorialiser l'affrontement pour qu'il produise un maximum d'effet. Effet à double détente : d'abord mettre l'honnête citoyen, le quidam centre ville dans une posture de victime innocente (3) et lui faire sentir que l'État est un besoin, l'État policier, capable de quadriller un secteur avec efficacité et intelligence ; ensuite, laisser entendre, par l'origine banlieusarde des anti-républicains qui font du jet de poubelles et du fracas d'Abribus un mode d'expression, ceux-ci, il suffit de les repousser dans leurs territoires de relégation pour que tout revienne dans l'ordre. C'est dans le fond adapter à l'organisation civile la pensée la plus ultra-libérale qui juge de l'intérêt moral de la pauvreté comme un garde-fou aux relâches des efforts nécessaires au bon fonctionnement de la société. L'État, c'est ici le Père, la Loi du Père. On saisit assez bien le mouvement de balancier : l'État, via les médias inféodés, annonce la montée des eaux et suggère immédiatement après le temps de la décrue. Il n'y a plus qu'à attendre.

    Pour cette fois, nulle besoin d'émeutes répétées en divers points de la nation. La place Bellecour (il est vrai la plus grande place fermée d'Europe. Prestige provincial...) aura été le catalyseur d'une analyse politique réduite à des montages scéniques assez minables. Unité de lieu, unité de temps, unité d'action. Les topoï du tragique. Et c'est en effet tragique et sinistre de nous faire croire que notre démocratie pourrait s'effondrer sous les coups de trois cents jeunes masqués (je sais que ce sont les minorités qui font l'histoire, mais là, c'est risible).

    Face à la répression, certains rêvent que d'un tel mouvement sorte une révolution, que des poubelles brûlées et des vitrines brisées naissent un ordre nouveau. On entend quelques voix, toujours les mêmes, nous promettant le grand soir. Ils ont la mémoire courte et oublient que de mai 68 est sortie la chambre la plus à droite qui fût sous la Ve République ; que les mouvements les plus radicaux de cette époque-là (de la Fraction Armée Rouge allemande aux Brigades rouges italiennes) commencèrent petitement certes (Andréas Baader débuta par brûler un supermarché) mais leurs actions furent des moyens de manipulations (et d'eux-mêmes et de l'opinion) par les autorités arguant de la sécurité nationale (4) ; que les pensées les plus rétrogrades et les plus fascisantes attendent de rafler la mise.

    Alors, guerilla ? Cela sent bon la nostalgie guevariste. À défaut d'idéologie construite on pourra en faire des tee-shirts. En attendant la jeunesse devrait se remettre à bosser parce que comme l'a dit l'UMP Bernard Debré on s'étonne qu'ils perdent leur temps à jouer au chat et à la souris avec les forces de police, quand leurs congénères du monde entier prennent leur part dans, je cite, «la guerre économique» mondiale.

    Oui, la guerre ! Pas la guerilla, la guerre ! Celle qui est légitime, qui est le fondement même de notre développement, celle qui ne casse rien, ne brise rien, n'écrase personne. Sauf, peut-être, les travailleurs du monde entier qu'on exploite : le Chinois, l'Indien, l'Argentin ruiné par le FMI, le Roumain, le Français à qui on propose de se délocaliser en Tchékie ou aux Philippines... Bref, des gens de peu.

     

    (1)On pourra trouver une certaine redondance dans l'expression et ce n'est pas faux. Mais l'effet stylistique aussi médiocre soit-il se voudrait l'écho linguistique de l'objet tout aussi médiocre qu'il désigne.

    (2)Il est vrai que défendre les pauvres, les déclassés, les émigrés, n'implique pas qu'on partage leur quotidien. Jack Lang, qui aime tant la jeunesse de la grande couronne, vit place des Vosges...

    (3)Cette formule, elle, n'est pas de mon fait. Elle refleurit à tous les micros de ceux qui ont choisi le pathos comme seule catégorisation intellectuelle. N'étant jamais sûrs que leur message passera, il préfère assurer leurs arrières.

    (4)L'exemple canonique étant en la matière l'affaire Aldo Moro en 1978 (voir Leonardo Sciascia, L'Affaire Moro)

                                     

     



     

  • "Words, words, words"

    Les députés à l'Assemblée nationale, le 8 juin 2010.

    Mercredi 15 septembre, au moment du vote de la loi sur la réforme des régimes de retraites, les députés socialistes demandent pour chacun d'eux un droit de parole de cinq minutes. Ce stratagème (car c'en est un : que diront-ils en un si court laps de temps qui puisse changer la décision ? Il ne s'agit donc pas d'une entreprise de fond, mais d'un exercice formel destiné à prouver à l'opinion publique qu'ils sont combatifs, déterminés. Une vraie opposition, en somme.), ce stratagème est considéré par le président de l'Assemblée comme un moyen d'obstruction démesuré. Il suspend la séance pour que la représentation nationale passe le plus rapidement possible au vote. La gauche pousse des cris d'orfraie, poursuit  au sens propre l'affreux monsieur Accoyer, lance le mot de forfaiture, revient dans l'hémicycle écharpe tricolore sur la poitrine (pour ceux qui ont un mandat municipale). L'heure est grave, la République en danger. C'est alors que monte à la tribune une députée communiste qui, avec le plus beau sens de la nuance, soutient que l'on vient d'assister à un putsch.

    Un putsch ! Sait-elle ce qu'est un putsch ? Sait-elle qu'elle n'est pas au café du Commerce, avec des copains, quand les mots peuvent parfois s'égarer ? Un putsch ! On attend les forces armées dans les rues, l'interdiction des journaux, les premiers emprisonnements.

    Le soir même, Arte diffuse un documentaire sur Juan Carlos d'Espagne, relatant notamment la tentative de coup d'État de Tejero aux Cortes, diffusant la séquence très forte d'un roi en habit militaire, qui se porte garant de la démocratie. Voilà un putsch, un vrai ! Le monarque est sérieux, grave. Il n'est pas là pour se faire bien voir des gogos de sa circonscription.

    L'iniquité d'une réforme (et sur le fond, celle du gouvernement est injuste et inefficace) est une chose ; sa contestation par les voix/voies du cirque en est une autre. Crier au parlement bafoué pour quelques bavardages de moins est une argutie procédurière calamiteuse. Surtout lorsqu'on se rappelle combien la Ve République est une démocratie de partis-godillots où tout est joué d'avance, où le suivisme des formations au pouvoir est le premier signe d'une représentation méprisée. Ne reste plus alors que la mise en scène de soi, une contestation parodique, une scénarisation obscène pour masquer ses propres turpitudes. Car ceux qui braillaient mercredi étaient les mêmes qui s'indignaient des réformes Balladur de 1993, sur lesquelles ils ne sont jamais revenus.

    Alors, un putsch ! Qu'ils continuent ainsi leur double jeu, indignation de façade et acquiescement sur le fond, rodomontades de médiocres tribuns et vacuité de leurs alternatives sociales et économiques... La déliquescence politique actuelle rappelle les splendeurs de la IIIe République, Marx a beau écrire que l'Histoire ne se répète pas, sinon en farce, il n'y a pas de quoi rire !