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rennes

  • Approximations bretonnes

     

    Le voyageur qui, entrant en Bretagne par la route, décide avant d'aller sur les côtes (nord de préférence, plus que sud, moins bétonnées) de s'arrêter dans la capitale régionale aura la surprise de tomber sur le panneau suivant

     

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    Encore que la surprise qu'on lui suppose n'existe-t-elle que s'il connaît un peu les singularités culturelles et linguistiques des lieux. Pour qui les ignore (et ce n'est pas une tare) cette double nomination de la ville sonne comme un hommage arraché de haute lutte par les défenseurs d'une identité bretonne bafouée par les siècles d'un jacobinisme terroriste. Ils eurent leur moment de gloire, dans les années 70, ces politiques breizh, quand ils firent sauter ça et là quelques pierres, quelques véhicules ou l'antenne-relais de Roc'hTrédudon. Il y avait parmi eux des agités chevelus porte-voix d'une cause un peu floue dans son programme idéologique, naviguant entre des revendications libertaires (ils se voyaient à l'extrême-gauche...) et d'autres identitaires (n'ayant sans doute pas totalement digéré le passé pétainiste de leurs prédécesseurs). Ils furent folkloriques, pour être franc, et un peu ridicules. Mais pour le moins avaient-ils des raisons de vouloir sauvegarder une langue, un patrimoine qu'ils sentaient menacés et jusque dans des limites excédant de beaucoup la géographie de l'Hitoire.

    C'est sur ce point que, devant ce panneau, le voyageur connaissant le trompe l'œil qu'est la dénomination Bretagne sourit. En effet, nul n'a jamais parlé breton à Rennes. Ja-mais. Cette région était, sur le plan linguistique, scindée en deux.Traçant pour faire simple une ligne de Lannion à Vannes,  on dira que la partie orientale parlait breton ; la partie occidentale, c'est le pays gallo. Ce double panneau est donc un contresens historique, une relecture stupide du territoire car il n'y a pas plus de raison de doubler le nom du chef-lieu régional en breton que de le faire pour toutes les villes et tous les villages de France et de Navarre. Et si l'on veut pousser l'absurdité à son comble, il faudrait d'urgence demander aux Polonais, aux Italiens et aux Portugais, entre autres, de se mettre à la page et de contacter Diwann pour que l'injustice qui est faite à la bretonnitude soit réparée.

    On se demande alors ce qui peut justifier un tel révisionnisme historique. Car c'en est un que d'imposer, même symboliquement, une langue à ceux qui ne l'ont jamais parlée. On me retorquera que voilà un bien grand émoi pour un si petit abus et qu'il faut raison garder. Il n'en est rien. Je comprendrais fort bien que des autonomistes, jusque dans l'excès d'appropriation, peinturlurent ces panneaux pour y ajouter par dessus leur langue. Vandalisme mis à part, je conçois cette mauvais foi, parce qu'aussi stupide soit cet acte, il se pose comme un acte de lutte. Il est en revanche inconcevable que des représentants élus dans le cadre de la République française falsifient à ce point la réalité d'un territoire, pour céder au diktat de quelques régionalistes et à l'air du temps qui veut que l'on assimile la dite République à une structure purement oppressive (ce que là aussi je comprendrais fort bien si ceux-là même qui la salissent ne l'invoquaient pas à tort et à travers, en particulier en temps électoraux).

    Il s'agit sans doute d'une affaire d'image, de se donner un air de repentance, sous prétexte que le breton aurait été imposé à coup de triques (ce que démentait il y a près de trente ans un chercheur gallois, si je me souviens bien, lequel fit scandale dans le Landerneau de la bretonnitude). C'est derrière cela l'idée d'une unité, fût-elle artificielle, pour un espace politique qui n'en a pas forcément, et ressusciter d'une manière grotesque l'étendue du duché de Bretagne. Mais il faudrait alors revoir toute la composition des régions françaises et ramener Nantes dans l'espace politique et culturel qui fut le sien. Rendre à cette ville sa place première au détriment de Rennes.

     

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    Il en fut question un temps et la rivalité entre les deux cités s'exacerba, ayant des relents de guerre symbolique où l'Ancien Régime aurait dû céder devant l'esprit républicain. Pour Nantes, l'Histoire, le château des Ducs, Anne de Bretagne, la légitimité aristocratique. Pour Rennes, la République, le peuple, la légitimité morale. C'est sans doute pour parer à toute menace qu'en une époque hésitante le conseil municipal rennais décida à la vitesse de l'éclair de débaptiser la place du Palais pour qu'elle devînt la place du Parlement de Bretagne (qui a sa plaque bilingue, évidmment), lieu même où siège le Palais de justice qui brûla en 1994. Il n'est pas difficile d'interpréter la signification de ce changement. Entre le château et le parlement, la modernité ne pourrait faire que le choix du second. Cela serait bien vrai si le Parlement dont il est question correspondait à l'idée que tout à chacun peut s'en faire. Il n'en est rien. Le Parlement de Bretagne n'était une assemblée élective mais une cour de justice et que l'on pût y venir plaider et veiller à ses droits ne changent rien à l'affaire. Ce parlement-là n'avait rien à voir avec l'idée qui a cours aujourd'hui mais on comprend qu'agir ainsi relève d'un enjeu  stratégique bâti là encore au mépris de la réalité historique.

    C'est pure escroquerie que de vendre une acception pour une autre, un mot pour un autre. Comme de substituer gratuitement une langue à une autre. Cela pourrait n'être que des détails, des pécadilles dont s'amusent (ou se désolent) les esprits qui n'ont pas grand chose à faire. Il me semble pourtant correspondre à une pratique particulièrement tendancieuse alliant le mépris du passé et l'altération du présent, à cette propension très actuelle de vouloir instrumentaliser le monde et les sens qu'il porte, la concrétion qu'il représente au profit d'une politique factice, clientéliste et vide de toute inscription dans la réalité de l'Histoire.