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    Un article de Philippe Muray, de la fin des années 90, ridiculisait trente-et-un auteurs réunis par le journal Le Monde pour se dresser "face à la haine" (1). Beau programme philanthropique où la littérature (ou ce qu'on présente telle) s'en allait, bonne fille un peu simple pour le coup, du côté de la mise en garde et de l'engagement massif (comme il y a des armes de destruction du même genre). Consternant, n'est-ce pas ? Écrire le bien sur commande (car il n'est pas interdit d'écrire ce qui pour soi est le bien, à la manière d'un Claudel ou d'un Bernanos par exemple...), agiter ses feuillets en pancartes révoltées. Le crétinisme a de beaux jours devant lui et l'an dernier il fleurissait de plus bel sous la main d'Annie Ernaux qui voulait à peu près qu'on pendît Richard Millet haut et court.

    La lecture de Philippe Muray m'a donc ramené à la haine.

    Peut-on faire l'éloge de la haine ? Non. Pas plus que celui de la vérité, du mensonge, de l'amour, du doute, de Dieu ou du diable. Et ce serait plus encore ridicule aujourd'hui, quand nos temps ténébreux ont substitué à la morale une politique du droit individuel qui doit s'étendre jusqu'aux endroits ultimes de notre existence. Dès lors, si l'on veut bien se conformer à la terreur en poste, celle de l'affect et de la subjectivité combinées (2), il faut simplement réclamer le droit à la haine.

    Puisque la haine est un sentiment, puisque le sentiment est la matrice sans partage du moi contemporain, la haine est légitime, elle fait partie de mon droit inaliénable de Narcisse démocratique et il est attentatoire à ma liberté de me contredire sur ce point. Je ne vois guère ce que les droits-de-l'hommiste de la pensée pourraient trouver à y redire, à moins qu'ils ne soient à la fois juges et parties, discoureurs et policiers de la pensée, faux nez de la liberté et vrais godillots de l'encasernement soft...

    Est-ce être méchant homme que d'écrire cela ? Est-ce honteux que de l'humanité abstraite et éparpillée je me moque éperdument ? Est-ce être un barbare que de connaître le mépris et de ne pas vouloir s'en départir ? Que ne pas se soucier du bien-être pour tous ?

    Attaquer le droit à la haine revient à amputer autrui de son intériorité et de sa puissance créatrice.

    Et tout à coup, une idée : il y aura bien trente-et-un nouveaux couillons pour dire non à la haine, pour dire non à Poutine, invectiver l'âme russe (ce qui au passage nécessitera qu'on brûle et Dostoïevski et Tolstoï, chez lesquels on trouve tant de pages russes, très, très russes : gageons que les combattants de la haine savent faire des autodafés) et chanter la liberté du marché, de l'OTAN, d'Obama qui s'assoit sur le droit des peuples à l'autodétermination.

    Parce qu'on l'aura compris, le droit à la haine existe déjà : il est mondialisé et nous dirige sans vergogne.

     

    (1)Dans Après l'histoire, "Homo festivus face à la haine", en date de mai 1998.

    (2)Vous savez : tous les goûts se valent, sont dans la nature et ne se discutent pas.

     

     

    Photo : Florentine Wüest

  • De l'art de la révolte...

    Il fallait bien que sur le plan du cirque démocratique il arrivât du neuf, que, comme dans le système de la mode, pour reprendre Lipovetsky on nous proposât du spectacle et que cela tournât sur un rythme attrayant.

    Après les printemps arabes, c'est visiblement l'hiver russe qui passionne la presse française, et les intellectuels adjoints à cette grande institution. Pour l'heure, le sieur Poutine est dans le viseur. Il est l'obstacle à l'expression de l'âme russe, semble-t-il, laquelle aspire à la liberté. Il suffit dès lors de 150 000 personnes dans les rues de Moscou pour qu'un possible bouleversement politique traverse les esprits de ceux qui s'indignent depuis longtemps des exactions du président russe (qu'il soit d'ailleurs président ou premier ministre, on s'en fiche). 150 000 personnes... c'est-à-dire, ramené au nombre de la population française, entre 50 et 60 000 personnes. ll y a de quoi rire, quand on sent l'espoir journalistique d'un changement et les justifications en légitimité que l'on octroie à ces manifestants. Il y a de quoi rire, parce que ce sont les mêmes institutions qui, devant les manifestations françaises de grande ampleur (de la réforme Bayrou aux contestations sur les retraites), entre 300 000 et un million de personnes, tempèrent les aspirations populaires en relayant un pouvoir dont le mot d'ordre est bien connu : la démocratie ne se fait pas dans la rue...

    Mais il faut bien reconnaître qu'ils ont depuis quarante ans une tradition à se vautrer, presse et intellectuels de gauche notamment, dans les raccourcis les plus ridicules, le dernier concernant le printemps arabe. Les frères musulmans en Égypte, le CNT lybien ou les islamistes tunisiens : voilà ce qui s'appelle un triomphe de la démocratie. Il est vrai qu'ils (du moins leurs ascendants intellectuels) avaient trouvé le FLN formidable et Boumédiène extraordinaire, le Vietcong pacifique (avant qu'il n'aille s'occuper du Cambodgien), la révolution iranienne une belle aventure (pensons à Foucault)... Il est remarquable de voir ce beau monde, qui majoritairement a soutenu Maastricht, la Constitution européenne (et le droit d'insulter, le lendemain de la victoire du non, ceux qui l'avaient refusée) en déniant aux peuples européens -et au  peuple français en particulier- le droit au désaccord, oui, très remarquable de le voir reconnaître à d'autres une légitimité qu'ils fustigent ici...

    Revenons donc à la raison : 150 000 contre Poutine (pour qui je n'ai aucune sympathie)... Pour l'heure, trois fois rien.