usual suspects

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

termini

  • Mille lires

    http://farm3.static.flickr.com/2653/3840906218_530029638e.jpg

    Je me souviens qu'après un trajet passé dans un train de nuit, à l'approche de Termini, le contrôleur t'ayant rendu tes papiers, tu t'étirais, à la fois fatigué et ravi (ravi : le bonheur d'être emporté ailleurs. Rome enfin... ou Florence ou Venise...), sentant, dans la poche intérieure du blouson de jean le gonflement de la liasse de billets : des lires, que tu sortais discrètement pour n'en retenir qu'un ou deux, des billets avec des zéros comme s'il en pleuvait, qui te faisaient croire que tu étais subitement riche, quoique simple étudiant, des zéros comme s'il en pleuvait, oui, qui réduisaient les francs à une monnaie de gagne-petit (quand bien même la réalité économique d'alors te rappelait que c'était l'Italie qui était à la traîne) ; les zéros d'une aisance illusoire, peut-être, mais qui donnaient une saveur particulière à ce premier café que tu prenais en sortant de la gare, chez Trombetta, au coin de la rue Marghera, avec l'impression que tout était démesuré, que tout se réglait par des sommes faramineuses, et que cette comédie était aussi une part de ton étrange bonheur.

     

  • (céder) le passage

    IMG_1050.JPG

    Il y a toujours un moment, une borne sans réelle consistance, où ce qui avait la forme, l'odeur, la tension d'une singularité plonge dans le commun. Saint Pancras serait, dit-on, la plus belle des gares. Atocha ne manque pas de charme, Grand Central a évidemment un parfum d'Hitchcock, la Bento de Porto fait rêver. Mais au-delà ? Au-delà de ce territoire habité et construit, de cette fourmilière plus ou moins souriante, de ces arches, arcades, volées de verre et de métal, balustrades en tous genres, ce sont les voies, les quais étirés, dans la rigueur du matin, dans l'abandon du soir. Pas encore des no man's land mais de singulières contrées froides, qui se ressemblent toutes, ayant en commun l'inhospitalité de la transition et le triomphe de la matière solide. 

    Même en ce grand désert où les lignes verticales et horizontales se battent (tout le contraire de l'autre désert, le vrai, l'unique), il n'est pas permis de traverser et l'on s'imagine aisément, alors que rien ne vient et que rien ne se passe, en plein désœuvrement. Sur le bord de la voie, loin en amont de ce qu'est la gare, l'errant qui ne voyage pas, près du précipice, est condamné à attendre. Ce n'est pas l'agitation du terminus, le brassage de Termini, pas même la torpeur d'Ostiense. C'est le pire de tout...

    Nous ne sommes nulle part et ne rêvons même pas.

     

    Photo : Philippe Nauher