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volterra

  • Au soleil de Volterra

     

    C'est devenu, m'a-t-on dit, le pèlerinage des spectres et des songe-creux, depuis qu'on est venu y tourner un épisode de Twilight. Il suffisait qu'il y eût des remparts et un semblant de ténèbres pour que les apprentis gothiques y fissent leur beurre. Voilà une façon bien dérisoire et ravageuse de reprendre ce qu'écrivait Gabriele d'Annunzio dans Forse che si forse che no quand il évoquait Volterra comme "una città  del vento e del macigno" (une ville du vent et du roc). De quoi faire frémir, en effet... Il faut donc imaginer les délices sanguinolentes des admiratrices de Pattinson déambulant dans le cercle fortifié de la ville haute. Il n'y a pourtant plus grand chose à voir tant, comme d'autres villes du même genre (c'est-à-dire moins un genre qu'une destinée funeste les réduisant à la banalité commerciale), Volterra est propre, hygiénique et festive. À peine arrivé qu'on a envie de s'enfuir.

    Tout le bonheur est ailleurs, en fait, lorsque la ville n'est encore qu'une promesse, une lointaine silhouette, et même, pourquoi ne pas le dire, un simple mot sur l'aléatoire des panneaux indicateurs italiens. Volterra vaut moins, en effet, que le décor fabuleux qui la précède, quand les routes sinueuses qui nous y mènent offrent au regard émerveillé, le gris bleuté et le vert d'une terre retournée, laquelle forme comme un treillage à peine visible sous le jaune ravi et vif de la paille courte après la coupe. Le labour sec laisse à nu un paysage lunaire. C'est une succession de surgissements et d'effondrements sans comparaison en Toscane, où les oliviers forment comme des boutons presque noirs sur le manteau des collines.

    Cette matité qui s'enflamme, donnant au sol toute son épaisseur et son poids, il est possible, qui sait ?, qu'un jour, à l'instar des villes devenues l'ombre d'elles-mêmes (ainsi Volterra), elle disparaisse, que le travail des champs périclite et qu'il ne reste plus qu'un désastre. Nous n'aurons plus alors qu'à nous retourner vers Courbet. Oui, Courbet... L'homme d'Ornans, du réalisme virulent et provocateur, l'homme des couleurs austères, fit plusieurs séjours en Italie, et particulièrement en Toscane.

     

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    Courbet, La citadelle de Volterra, 1838, Le Louvre

     

    Il vint à Volterra et plusieurs œuvres témoignent de cet attrait toscan. Car il s'agit bien de cela. L'art du peintre semble se soumettre (soumission qui n'en est pas une, c'est une écoute, d'abord) à l'intensité du lieu. Les plans sont marqués, la couleur dense, épaisse. Le pinceau n'imprègne pas la toile, dans le délicat souci qu'il y aurait de peindre une nature fraîche et frêle ; il se répand, comme une matière quasi primitive. La terre est une boue sèche, une marquetterie de bistre, d'ocre et de verts légers, qui prend toutes les pentes et oblige les arbres à se réfugier sur les endroits les plus inacessibles. Il n'y a rien d'hostile, absolument pas, mais c'est une fertilité massive, grasse qui prélasse des couleurs qu'on abandonnera à regrets en allant sur Sienne.

    Courbet, dans ce tableau (mais il y en a d'autres de la même puissance), saisit toute la clarté que le sol absorbe du soleil, jusqu'à suggérer un territoire carapaçonné comme une bête terrible. Le sentiment lunaire qui vous parcourt l'échine, l'artiste lui donne toute sa force en choisissant non le plan restreint et la recherche du détail, mais la vision ample, comme s'il voulait donner, de ces incroyables collines, l'illusion d'un champ de bataille. La forteresse de Volterra se fond dans le décor. Elle apparaît moins comme une œuvre des hommes que comme le prolongement structuré du lieu qui l'a vue naître. Seule sa géométrie verticale la distingue et elle ne serait rien sans ses environs, sinon une couronne sans tête.

    Il est peu nécessaire de revenir à Volterra, d'en arprenter les ruelles commerçantes. il suffit de penser à Courbet, de garder ses distances et de prendre l'ensemble comme une histoire magique de l'homme confondu par la terre, d'admettre, à la suite de Courbet, que cette région de la Toscane, assurément la plus belle, la plus unie, la plus sauvage, se contemple dans le lointain, s'estime de n'être qu'un imprécis assemblage de couleurs à flanc de collines et Volterra une déjà-ruine dont le plus beau souvenir est fixé, depuis près de deux siècles, par un homme qui ne savait pourtant pas ce qui nous attendait...

    Le tableau de Courbet est donc à la fois un souvenir et une prémonition. Il est, sans souci de réalisme classique, la marque du lieu, son identification souveraine. Il capte la luminosité sans les chichis d'un quelconque travail vaporeux et nous informe de ce que sera le voyage (ou le retour) vers Volterra, en plein été, aride, et vaguement orageux : l'exaltation d'un autre monde, bien réel pourtant, dont nous emportons avec nous, par un fétichisme puéril, une poignée de terre.