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« L'être-Français »

Le 6 août dernier, un ministre de la République déclarait : « Français ou voyou, il faut choisir », pratiquant la surenchère après le discours sarkozyste du 30 juillet. La déclaration de ce dernier, aussi démagogique et radicale soit-elle, pouvait encore s'intégrer dans une démarche politique des causes et des effets, comme choix idéologique, en écho à certaines propositions frontistes. La phrase ministérielle est, elle, d'une autre nature. Elle ordonne un présupposé que l'on peut ainsi formuler : il y a une morale ontologique supérieure française, une grandeur intrinsèque de « l'être-Français » qui, si j'entends bien, est le signe distinctif de cet « être-Français ». Ce principe posé classifie donc l'humanité en deux groupes : « l'être-Français » auquel l'Histoire rend grâce, alignant les faits d'armes magistraux, et le reste du monde, tendanciellement voué à la malhonnêteté, la vilénie, le crime, l'infériorité morale. S'agit-il d'un effet génétique ? On peut supposer que non, puisqu'il y a un choix. Ce serait plutôt une sorte de révélation, presque une mystique. « L'être-Français » et son désir : voici la voie d'accès à une forme supérieure d'humanité, à la compréhension immédiate du bien et du mal, dont l'étranger (le « non-Français ») est dépourvu. Ce ministre a enfin trouvé ce qui peut sauver le monde de la violence, de l'incurie et de la bassesse.

Une telle déclaration doit inciter tous les honnêtes gens de par le monde à demander leur naturalisation pour se garantir plus encore contre le Malin. Le monde converti à la toute puissance de « l'être-Français » et plus rien ne serait comme avant. L'Esprit saint de la vertu hexagonale comme synonyme de la bonne intelligence promise au commun. Mais est-ce vraiment ce que souhaite ce ministre, qu'affluent de tous les territoires planétaires les convertis à « l'être-Français » ? Je n'en suis pas sûr. Et ces personnes, d'ailleurs, en auraient-elles le désir ? Pourraient-elles croire à cette magie ? Car ils savent s'informer, ces supposés « voyous » ; ils peuvent connaître le présent et le passé, constater que les grandes affaires et magouilles de ces trente dernières années dans ce si extraordinaire pays ont rarement été le fait d'une populace exogène inconsciente de l'épique grandeur de « l'être-Français ». Ils étaient bien de chez nous, que je sache, et nul n'évoqua jamais la moindre destitution de leur nationalité, ceux qui trempèrent dans les barbouzeries, les financements en tous genres et l'affairisme politique. Bien de chez nous. Tout comme le procureur général Lespinasse qui, en 1943, déclara au procès du résistant Marcel Langer : « Juif, Polonais et communiste : trois raisons de demander la peine de mort ».

Soyons clair : je ne cherche pas à remonter à la nuit des temps pour faire le procès à sens unique du pays qui est le mien. Il n'est pas question de pratiquer la repentance perpétuelle, comme certains, qui nous vaudrait toutes les ires du monde (tant l'histoire de France n'échappe pas aux guerres et aux infamies). Il n'en demeure pas moins que l'alternative ministérielle n'est pas un excès de langage, une outrance verbale de plus. Elle induit une hiérarchisation humaine intolérable sous couvert d'identité nationale. Le fumet de Pétain peut courir les rues...

Si identité nationale il doit y avoir, celle-ci se promeut à travers la transmission de ce qui fonde sa culture. Or la politique menée par ce gouvernement, dans la droite ligne de celle de ses prédécesseurs depuis au moins un demi-siècle est pour le moins désastreuse. Tel est le sommet nauséabond de la bêtise (dangereuse) : crier haro sur le métèque et cracher sur La Princesse de Clèves.

 

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