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Du pourcentage aléatoire de la démocratie

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Dimanche soir, c'était la fin du cirque, le moment où après s'être étripés joyeusement les braves enlevaient le maillot et finissaient, comme pour les matchs de rugby, avec une bonne pinte bien fraîche. Il y avait bien un vainqueur et un vaincu, mais le camp du vainqueur ne pavoisait pas et celui du vaincu semblait très philosophe. Le parti du parvenu mesurait-il la tâche et son angoisse ? Celui du déchu goûtait-il le plaisir inavouable de s'être enfin débarrassé de l'histrion qui les avait phagocytés de son nombrilisme grotesque ? Le common man faisait dans le sobre, pendant que le bling-bling souriait régulièrement en faisant ses adieux à la Mutualité.

C'était vraiment un début de soirée étrange. La réalité donnait des chiffres, des estimations. On criait d'un côté, on pleurait de l'autre, mais sur les plateaux, calme plat. Un passage en douceur qui pouvait laisser songeur. Chacun y allait de sa phrase républicaine, à droite et à gauche : « le verdict des urnes », « la parole du peuple », « la voix des électeurs », « le respect de l'alternance républicaine »... Des félicitations UMP, des remerciements PS, c'était touchant. On avait l'impression de vivre dans une démocratie apaisée. J'aime bien cette expression récurrente dans les discours politiques, pour montrer que depuis les outrances de 1981 la République française a mûri, et nous aussi. Il paraît que l'électeur était dimanche responsable, jusque dans l'équilibre du résultat. Pas un triomphe, pas une raclée. Un mélange qui permettait à chacun d'être content.

Mais moi, qui n'ai pas voté, je me sentais fort agacé, devant cette célébration unanime du peuple éduqué allant choisir son dirigeant suprême. Je m'agaçais de ce consensus, parce que je me souvenais que c'était les mêmes, exactement les mêmes, droite et gauche réunies, qui, en 2005, expliquaient que le peuple n'avait rien compris aux enjeux du referendum. La parole sortant des urnes était alors nauséabonde, rance, aigrie, et un tant soit peu imbécile. L'échec de la classe politique et des médias rassemblés (96% des journalistes soutenant la Constitution) tenait-il à peu ? Que nenni. 55% contre 45%. Net et sans bavure. Il n'y avait pourtant pas ce soir-là, dans les partis responsables (ils aiment se définir ainsi), autre chose qu'un mépris souverain pour la glèbe. Et l'on sentit alors qu'il en cuirait aux gueux révoltés de s'être ainsi comportés. Il ne fallut pas attendre longtemps et ce fut le traité de Lisbonne  que les gardiens de la démocratie (comme il y a en Iran des gardiens de la Révolution) s'empressèrent de ratifier entre eux, tant le peuple est sot...

Dès lors, reconsidérant les moues et les faux semblants de la soirée de dimanche, je pensai que cette neutralité de ton, dans les deux camps, n'était pas due à la sévérité de la situation. Elle renvoyait, sur le fond, à l'écart infime qui séparait les deux (faux) belligérants démocratiques. Des queues de cerises. Ainsi la victoire des uns et la défaite des autres n'étaient que des anecdotes touchant aux trajectoires individuelles de ceux qui allaient accéder aux ministères ou faire une cure d'opposition. Cette convivialité sereine, si gênante, avait donc cette origine : le casting changeait mais le scénario était le même et l'on avait oublié depuis longtemps que les ennemis à l'écran étaient les affreux magouilleurs du Congrès. La civilité n'était pas qu'un acte, elle cachait la réalité indicible du pouvoir.

Et comme un contre-champ ironique (qui me faisait sourire, enfin), dans le rectangle droit de l'écran, on voyait les cocus de base, tout à leur affaire, exultant à la Bastille, pleurant chaudes larmes à la Mutualité, tous étreints de leur passion désolante, amnésiques d'une démocratie confisquée il y a sept ans, avec la complicité du camp d'en face, qu'ils traitaient en ennemis héréditaires.

 

 

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