usual suspects

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

constitution européenne

  • L'Imposture du refoulé

    En 2015, nous fêterons le dixième anniversaire d'une victoire volée, celle du "non" à la Constitution, refus clair et net, 55% des voix (1), lequel refus fut balayé deux ans plus tard par un Congrès de collabos aux ordres de Bruxelles la libérale, un peu comme en 40, une assemblée majoritairement de gauche monta Pétain au pinacle. Il y a décidément un atavisme de la traîtrise dans ces rangs-là. Ils peuvent toujours nous expliquer le contraire et fustiger tout ce qui n'est pas eux : l'affaire ne peut aboutir qu'au prix d'un révisionnisme historique quasi stalinien (mais ils ne sont pas à cela près).

    2015 sera donc une manière de demander des comptes. Et non pas à l'échelle d'une présidentielle ou dans le cadre législatif, mais au plus proche, dans l'espace politique qui a permis à la gauche de se bâtir des fiefs, des prébendes, des soumissions, des accointances d'intérêt, d'irriguer par la voie associative leur clientèle électorale, de subventionner des projets bidons et de faire du social (puisqu'ils ne font plus de politique). Les défaites de 2015 seront graves car elles tariront les ressources ; l'arbre sera bouffé à la racine. Les vendus du coup d'État de 2007 seront les poches vides. On peut souhaiter que leur misère soit noire, la plus noire possible...

    Ils invoqueront la République (mais ils l'ont mise sur le trottoir...), la morale (mais jamais la Ve République n'a connu autant de ministres démissionnaires pour des questions d'argent et d'intérêt), le péril fasciste (mais Jospin l'a répété : le FN n'est pas un parti fasciste (2)), l'image de la France (mais quand on a fait entrer Courteline et Feydeau à l'Élysée, il n'y a plus rien à dire... (3)), le besoin de poursuivre les efforts (les pauvres apprécieront), le désir d'un mieux-d'Europe ou un truc approchant (les pauvres apprécieront), les risques de guerre civile (ils auront repiqué l'idée à Zemmour, et c'est très savoureux...),... On pourrait continuer ainsi jusqu'au soir.

    In fine, ils parleront, dans un freudisme mal digéré, appliquant des notions psychanalytiques à une situation que l'on peut traiter rationnellement, d'un refoulé nauséabond. L'hydre, l'horreur, et tutti quanti. Mais il n'y a pas de refoulé en politique. Les gens ne préméditent pas leurs angoisses ; ils ont mieux à faire. Ils ne fantasment pas leurs douleurs, ni leur pauvreté, ni la violence qu'ils subissent, ni le désarroi devant un monde qui  les méprise. Il n'y a pas de refoulé collectif, sur le mode : refaisons l'histoire. Les gens cherchent à vivre. Et plutôt que de cracher sur l'électorat du FN, ils auraient mieux fait de se demander comment celui-ci pouvait se gonfler à vue d'œil, comment le réductionnisme explicatif du fascisme à chaque coin de rue, comment Zemmour en théoricien du Reich, tout cela ne tient pas la route. 

    Il est possible que les gens subissent durement et longtemps, sans que rien ne bouge. Mais il arrive qu'un élément, parce qu'il est cernable, parce qu'on peut le circonscrire finisse par cristalliser la douleur et le rejet. La spoliation référendaire, j'en suis convaincu, en est un. Parce qu'il a fait passer le latent au patent, le masqué au repérable, le subjectif du jugement à l'objectif de la décision. On a défait ce qui avait été fait. Le crime eût été excusé si l'affaire avait garanti le bonheur des gens. Ce n'est pas le cas. 2015 sera le début du solde des comptes et il est illusoire d'opposer à la défiance vis-à-vis du pouvoir les errances (possibles) d'une contestation incertaine. Le désordre est à ce point que beaucoup sont prêts à l'aventure, ce qui ne signifie pas qu'ils votent en désespoir de cause. Là encore, les éminences roses (et juppéistes) se trompent. Contrairement à tout ce qu'elles imaginent, ces belles âmes, la haine n'a que peu à voir avec une telle démarche, de même que les votants du "non" en 2005 n'étaient pas des malades, des aigris, des xénophobes et des inconscients. Ils étaient lucides, et c'est bien cette lucidité qui aujourd'hui en effraie quelques-uns...

     

    (1)Pour les crétins mégoteurs, rappelons que le pitre kafkaïen s'est enorgueilli d'une élection à 51,5% face à un Sarkozy pour qui aucun des candidats du premier tour n'avait appelé à voter...

    (2)Peut-être est-ce une idiotie de Jospin ? Peut-être Jospin est-il un idiot ? Mais, dans ce cas, il ne fallait pas lui proposer d'entrer au Conseil Constitutionnel...

    (3)La comparaison à Courteline et Feydeau est évidemment de pure forme, parce que ces deux dramaturges sont infiniment plus drôles. Le vaudeville a ses lettres de noblesse, que le pitre kafkaÏen ne maîtrise même pas. Il lit peu, paraît-il...

  • Du pourcentage aléatoire de la démocratie

    carte_du_vote.jpg

    Dimanche soir, c'était la fin du cirque, le moment où après s'être étripés joyeusement les braves enlevaient le maillot et finissaient, comme pour les matchs de rugby, avec une bonne pinte bien fraîche. Il y avait bien un vainqueur et un vaincu, mais le camp du vainqueur ne pavoisait pas et celui du vaincu semblait très philosophe. Le parti du parvenu mesurait-il la tâche et son angoisse ? Celui du déchu goûtait-il le plaisir inavouable de s'être enfin débarrassé de l'histrion qui les avait phagocytés de son nombrilisme grotesque ? Le common man faisait dans le sobre, pendant que le bling-bling souriait régulièrement en faisant ses adieux à la Mutualité.

    C'était vraiment un début de soirée étrange. La réalité donnait des chiffres, des estimations. On criait d'un côté, on pleurait de l'autre, mais sur les plateaux, calme plat. Un passage en douceur qui pouvait laisser songeur. Chacun y allait de sa phrase républicaine, à droite et à gauche : « le verdict des urnes », « la parole du peuple », « la voix des électeurs », « le respect de l'alternance républicaine »... Des félicitations UMP, des remerciements PS, c'était touchant. On avait l'impression de vivre dans une démocratie apaisée. J'aime bien cette expression récurrente dans les discours politiques, pour montrer que depuis les outrances de 1981 la République française a mûri, et nous aussi. Il paraît que l'électeur était dimanche responsable, jusque dans l'équilibre du résultat. Pas un triomphe, pas une raclée. Un mélange qui permettait à chacun d'être content.

    Mais moi, qui n'ai pas voté, je me sentais fort agacé, devant cette célébration unanime du peuple éduqué allant choisir son dirigeant suprême. Je m'agaçais de ce consensus, parce que je me souvenais que c'était les mêmes, exactement les mêmes, droite et gauche réunies, qui, en 2005, expliquaient que le peuple n'avait rien compris aux enjeux du referendum. La parole sortant des urnes était alors nauséabonde, rance, aigrie, et un tant soit peu imbécile. L'échec de la classe politique et des médias rassemblés (96% des journalistes soutenant la Constitution) tenait-il à peu ? Que nenni. 55% contre 45%. Net et sans bavure. Il n'y avait pourtant pas ce soir-là, dans les partis responsables (ils aiment se définir ainsi), autre chose qu'un mépris souverain pour la glèbe. Et l'on sentit alors qu'il en cuirait aux gueux révoltés de s'être ainsi comportés. Il ne fallut pas attendre longtemps et ce fut le traité de Lisbonne  que les gardiens de la démocratie (comme il y a en Iran des gardiens de la Révolution) s'empressèrent de ratifier entre eux, tant le peuple est sot...

    Dès lors, reconsidérant les moues et les faux semblants de la soirée de dimanche, je pensai que cette neutralité de ton, dans les deux camps, n'était pas due à la sévérité de la situation. Elle renvoyait, sur le fond, à l'écart infime qui séparait les deux (faux) belligérants démocratiques. Des queues de cerises. Ainsi la victoire des uns et la défaite des autres n'étaient que des anecdotes touchant aux trajectoires individuelles de ceux qui allaient accéder aux ministères ou faire une cure d'opposition. Cette convivialité sereine, si gênante, avait donc cette origine : le casting changeait mais le scénario était le même et l'on avait oublié depuis longtemps que les ennemis à l'écran étaient les affreux magouilleurs du Congrès. La civilité n'était pas qu'un acte, elle cachait la réalité indicible du pouvoir.

    Et comme un contre-champ ironique (qui me faisait sourire, enfin), dans le rectangle droit de l'écran, on voyait les cocus de base, tout à leur affaire, exultant à la Bastille, pleurant chaudes larmes à la Mutualité, tous étreints de leur passion désolante, amnésiques d'une démocratie confisquée il y a sept ans, avec la complicité du camp d'en face, qu'ils traitaient en ennemis héréditaires.