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Blaise Cendrars, le kaléidoscope...

 

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Au milieu du récit épique et poétique de ses pérégrinations, dans Bourlinguer, mélange de souvenirs sauvages et vifs, de considérations sensibles et acerbes, Blaise Cendrars s'arrête dans sa course. Il se regarde. Ou plutôt : il réfléchit au regard des autres, et à la trace qui va, d'année en année, la trace de soi, l'impression de soi, sur les diverses matérialités de l'époque. C'est écrit au sortir de la guerre, autant dire une ère antédiluvienne pour un contemporain figé dans l'éternel instant de sa technologie tactile : texte simple et imparable dans un temps qui laissait, peut-être, encore espérer autre chose que la mire et le mirage.

"Aujourd'hui, c'est le 1er septembre 1947, c'est le jour de mon anniversaire, j'ai soixante ans. Qui suis-je ?

Les quelques portraits de peintres, que je viens d'énumérer dans le paragraphe précédent ne me servent à rien pour répondre à cette quesion, pas plus que ne me sont utiles pour résoudre ce problème de l'identité de soi les milliers de photographies pittoresques que l'on a pu faire de moi dans tous les pays du monde, les instantanés, les bouts de pellicule, les chutes de films de montage et les négatifs que l'on a pu collectionner quand je faisais du cinéma et parce que j'y figurais comme acteur, ou comme metteur en scène ou auteur du scénario, dans le générique, les agrandissements et les clichés publicitaires et jusqu'à cette radiographie en relief que l'on a faite de moi au lendemain d'un accident d'automobile, où l'on voit par transparence mon cœur à l'aorte déviée, le docteur Dioclès, le grand spécialiste de l'Hôtel-Dieu, pointant de son stylomine mes poumons, mon estomac, mes intestins, mon foie, ma rate et me faisant toucher du doigt les vraies et les fausses côtes de ma cage thoracique qui encerclent ces organes comme dans un tonneau et compter mes vertèbres, du sacrum, entre les os iliaques, jusqu'à la pinéale, en avant du repli postérieur du cerveau, cette documentation n'est bonne à rien, ne me livre tout au plus qu'une image fugitive, chronométrée en telle et telle année, tel mois, tel jour, à telle heure, sous telle et telle latitude, dans tel et tel rôle, tout cela ne répondant pas à la question : en vérité, qui suis-je ?"


Photo : Christopher Anderson.

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