L'intimité n'est pas celle des corps mais celle du corps pris dans les mots, dans les mots que l'on donne à ce corps, par quoi on se donne à ce corps. Appeler l'autre, c'est qu'il vienne à soi en le nommant, et, plus que tout, sans doute, en le sur-nommant.
Il ne peut, dans certaines circonstances, y avoir qu'un mot pour un être et s'il en va autrement, ce n'est pas une faute (la morale n'a rien à voir, ici) mais une dépossession.
Être dépossédé de sa langue est plus douloureux qu'avoir été trahi.
On ne perd jamais un corps parce qu'on ne peut jamais le prendre à soi, vraiment, mais on peut perdre les mots de ce corps, les mots insécables de ce corps. Les perdre de les voir (ou savoir) repris, ailleurs.
Il y a un sans-partage des mots, au plus profond du corps, une évidence qui ne pardonne pas...
Photo : Jacob Felländer