Caravage, Garçon à la corbeille de fruits, 1593, Galleria Boerghese, Rome
La corbeille est pleine. Elle déborde. Elle a l'abondance théologique des natures mortes du temps. On y dénombre une générosité dont se nourrissent l'esprit autant que le corps.
Le jeune garçon enserre la corbeille. il a la modestie d'un serviteur. Comme souvent chez Caravage, le contexte n'est pas précisé. Il ne cherche pas le genre, la fuite anecdotique dans la ritournelle des heures : temps du repas ou de l'offrande ? Il concentre le drame dans le dépouillement.
Au premier abord, ce tableau intéresse peu. On passe vite. Le jeune garçon a un visage, une allure et une tension érotique qui en rappellent d'autres dans l'œuvre du peintre ; pour la corbeille, on pense à celle de 1599 (donc postérieure). Puis, à la énième visite, toutes les autres n'ayant été que lettres mortes en somme, l'œuvre abandonne son irrésolution.
Le regard mélancolique apparaît, du personnage, qui semble lointain, retiré du monde et de sa trame. on sent la faille. La douceur angélique s'altère et la tension de l'âme (plus forte que les signes de l'Éros) atténue la rondeur des traits. Tout allait au mieux ; rien ne laissait présager le drame. Qu'a-t-il vu qui le leste ainsi d'une gravité inquiète et d'un retrait insondable ? Une humeur sans nom ? Un souvenir ?
À moins que ce ne soit l'étrange défaut de la corbeille, cette feuille qui s'en échappe, jaunie, se fanant, et telle, profanant l'illusion d'un temps candide et plein. Elle retombe comme se défait l'ingénuité. Le monde est cruel de signes de notre disgrâce.
Mais Caravage a-t-il jamais cru que la vie était autre chose qu'une course à l'abîme (1).
(1)Pour reprendre le titre du roman que Dominique Fernandez a consacré à l'artiste.