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Houellebecq, la faillite

Les gauchos communautaristes et autres penseurs de Terra Nova, sans parler des humanistes à la petite semaine, n'ont vraiment pas de chance. On ne leur accorde aucun répit. La purulence s'étale et ils ne savent pas comment la stopper. Leur dernière affaire n'est pas de la moindre importance : il s'agit du livre de Houellebecq. Sinistre Houellebecq. Une sorte de Zemmour (1) mais en plus problématique. Il faut entendre l'idiote Nelly Kapriélan, des Inrocks, faire des contorsions de constipée afin de sauver le romancier pour comprendre que le terrain est miné.

Il est vrai qu'avec Zemmour, l'histoire est plus simple. Outre que l'énergumène ferraille contre tous depuis longtemps, qu'il ne mâche pas ses mots sur les dérives communautaristes et la couardise des politiques, il s'en tient au strict cadre de la réflexion sociale et culturelle. Il argumente, comme on dirait dans les IUFM. À tort ou à raison. Il appartient à une ligne de pensée nationaliste, d'aucuns diront réactionnaires, et son style est celui de la plume polémique, une tradition très française que les imbéciles qui lui crachent  ou veulent ignorer, ou  veulent éteindre, ce qui est terrible, par un terrorisme intellectuel que mon demi-siècle d'existence n'avait encore jamais vu porter à ce point. Dans le fond, Zemmour est un sale con barrésien, voire un maurrassien pour certains (2). On peut vite le cataloguer ainsi et c'est bien aisé : cela permet de promouvoir les bien pensants en cour, d'Askolovitch à Fourrest...

Mais Houellebecq ? Avant d'y venir, on fera un petit détour par une autre plume française, et non des moindres (3) : Richard Millet. En voilà un qu'on a voulu faire taire. Son livre sur Brejvik n'avait pas grand intérêt mais il a eu le droit aux crocs des chiens de garde, à commencer par la pitoyable Annie Ernaux, dont le style de collégienne et les récits égocentrés sont des plus belles preuves de l'effondrement littéraire hexagonal (4). En fait, et nonobstant le rôle dans lequel il s'est ensuite complu, Richard Millet avait une tare quasi génétique dans son art, et double même : il ne cherchait pas à faire moderne dans le style, et ses plus grandes œuvres renvoyaient à un univers perdu, dépeint sans nostalgie, avec toute la dureté nécessaire, mais aussi avec toute l'épaisseur du temps et des lieux, dans un souci (parce qu'il y avait effectivement souci, pour lui) de garder vivant ce qu'une postmodernité regarde comme ridicule, sale, abject, dépassé. Richard Millet est un anachronisme et il est traité comme tel. Il était donc facile, ou disons : assez cohérent, de le mettre au ban de la littérature, laquelle littérature devenait alors une bureaucratie liberticide et les écrivains qui ont suivi Ernaux des délateurs confus et obscènes...

Seulement Houellebecq, ce n'est pas cela. Hélas non. Pour se faire une idée de l'écrivain, il faut revenir en 1993, quand il publie Extension du domaine de la lutte. Il est alors inconnu. Une mienne connaissance d'alors me recommande vivement ce petit roman. Le style en est quelconque, presque creux. On s'y ennuierait, d'une certaine manière, si l'on voulait chercher une musique, un phrasé. Rien de tout cela. En revanche, alors que les germanopratins et les nombrilistes de tous poils nous racontent par le menu leur vie d'auto-fiction, Houellebecq tranche dans le vif d'une réalité que l'univers littéraire refuse de voir alors (sinon chez un auteur comme François Bon), de même que les politiques, qui commencent leur belle désynchronisation avec le temps des quidams que nous sommes (5). Houellebecq, lui, cerne le cadre moyen, l'invisible, le banal. Il n'a même pas besoin de descendre dans les sentiers du lumpenprolétariat, à la manière d'un Jack London, pour cerner l'effondrement social, culturel et politique d'un territoire épuisé dans un siècle qui s'enfuit. Il a à peine besoin de romancer ce que sont l'ennui au travail, la récurrence des banalités, la porosité du professionnel dans l'intime. Cette extension du domaine de la lutte se concrétise justement dans ce prolongement infini, dans cette traque perpétuelle de la performance et dans le désordre engendré par l'impossibilité du héros à être entièrement dont la comptabilité privée serait à la hauteur de sa prétention sociale (6). Autant dire que la noirceur du roman est extrême, sans jamais tomber dans la caricature. 

Ce sont les mêmes méthodes, certains se moqueront en disant que ce sont les mêmes ficelles, qui serviront à la suite de son entreprise romanesque dont le très décapant Plateforme, dans lequel l'auteur exporte, si l'on peut dire, le malaise occidental dans des terres exotiques. Mais peu importe le lieu, au fond, puisqu'il y a le rouleau compresseur d'une uniformisation à la fois déshumanisante, mercantile et épuisante. Dans La Carte et le Territoire, le jeu et les clins d'œil, la dimension un peu perecquienne de la trame n'enlèvent rien à la mélancolie quasi abyssale des existences contemporaines amenées à un point de vulnérabilté à force de s'imaginer dans la toute puissance. 

Jusqu'alors Houellebecq est donc une sorte d'historiographe de l'occidental fin de siècle, lequel se promène entre narcissisme et effondrement, entre fuite en avant et recherche assez dérisoire de sa volonté d'agir, sur les autres et pour soi. Houellebecq participe donc, bon gré, mal gré, d'une critique du modèle occidental alimenté par ses folies usurpatrices et sa déraison de Prométhée bas de gamme. Quelles que soient ses outrances, il peut entrer dans les cases d'un mouvement contestataire qui ne sent pas la naphtaline du passé, qui ne pleurniche pas sur une ruralité merveilleuse, et autres sornettes que les penseurs de gauche au pouvoir (médiatique) aiment démolir sans nuance. 

Dès lors, les voilà bien embarrassés devant le dernier opus de l'animal. Pour faire passer la pilule, il est temps de ressortir la filiation avec Huysmans, de peindre un Houellebecq hanté. Il est nécessaire de prendre ses distances.

Quitte à cracher sur la littérature, à ne pas s'étonner que l'auteur vienne s'expliquer, qu'il assure qu'il n'y a pas de provocation envers les musulmans (7). On sent bien la gêne et la quadrature du cercle derrière : comment faire le procès d'un écrivain sans passer pour des staliniens ? Comment mettre en demeure la fiction de se taire quand la fiction déplaît aux islamo-gauchistes qui, depuis quarante ans, font la pluie et le beau temps, alors même que l'auteur fut, un temps, en odeur de sainteté ? Comment se plier à une demande larvée de censure, d'étouffement et de bannissement, sans que cela passe pour une reprise, à un autre niveau, de l'affaire Zemmour ?

La vérité est cruelle et les masques tombent. Il s'avère de plus en plus que l'aune de toute discussion politique mais aussi philosophique, ou culturelle, ou littéraire désormais, c'est l'islam. Ce n'est plus un sujet, mais un tabou, et comme tout tabou, c'est lui qui dicte sa loi. Et à ce sinistre jeu-là, Houellebecq finit par être pire que ses opposants. Le livre n'est pas encore sorti qu'il précise qu'il n'y a chez lui aucune provocation, comme le risque était trop grand et qu'il fallait illico presto remiser la littérature au rang des colifichets, des bibelots sans importance. Il n'a de cesse que de s'expliquer, comme si la littérature qu'il offre, comme si la fiction qu'il bâtit, toute cette œuvre n'était qu'une mascarade, un sujet de polémique pour faire vendre. Il s'explique dans les journaux, il va aller aux 20 heures de France 2. Pas encore lu une ligne de son nouvel opus, mais pour ce qui est de la soumission, aucun doute : il est prêt pour 2022.

 

(1)Il n'aura pas fallu attendre longtemps pour que le parallèle soit fait et c'est un imam de Bordeaux, la ville du si consensuel Juppé, le futur candidat de la gauche en 2017, qui s'y colle. "Le livre de Houellebecq, c'est celui de Zemmour en plus soft". Voilà qui est un jugement d'une grande intelligence. Confondre un roman et un essai, dénigrer le "scénario invraisemblable" du premier, assimiler la trajectoire de l'écrivain et du polémiste, les mettre dans le même sac, c'est de l'amalgame de première grandeur. Il est vrai qu'en matière de liberté d'expression nous avons beaucoup à apprendre des pays musulmans...

(2)Le détour par Maurras est absurde, parce que la place du religieux pour chacun des deux est à l'opposé. Lire de tels raccourcis en dit long sur la culture journalistique

(3)Même si ses derniers livres de fiction ont perdu de leur grandeur. Il écrit trop.

(4)Pire, il y a Angot, sans doute, mais à ce niveau, on touche au sublime, comme aurait dit Marguerite Duras...

(5)Souvenons-nous : Mitterrand joue les Sphinx, Balladur se prend pour Louis XIV et Chirac dit oui à Maastricht par pur calcul politicien. C'est le triomphe des Attali, Minc et Lévy, quoi qu'ils disent. Le bonheur, quoi...

(6)Sur ce point, la lecture des ouvrages d'Alain Ehrenberg est éclairante, en particulier Le Culte de la performance, paru en 1991, et  La Fatigue d'être soi, publié en 2000.

(7)Ce qui n'est pas le moindre des paradoxes puisque le roman raconte l'arrivée au pouvoir d'un musulman par la voie démocratique...

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