Tu regardes la liste de ceux qui sont sur ta newsletter. Ce ne sont pas des noms mais des adresses mail. Plus ou moins énigmatiques. Tu te demandes, sans que ce soit une vraie question : rien qui t'occupe l'esprit plus que le temps qu'il ne faut pour l'écrire, ce qui leur donne envie de lire ce que tu envoies. Sans doute est-ce là une manière symptomatique de créer du lien, une manière toute contemporaine de se promener dans des univers, ou de satisfaire une curiosité qui n'a rien de malsaine, mais qui donne la certitude qu'on pourrait à tout moment disparaître... C'est l'être-là signifié in absentia, à moins que ce ne soit une forme surprenante de cette paronymie joycienne : a letter, a litter. Une lettre, un déchet...
-
-
Who's next ?
Tu t'es précipité vers la bouche d'égout mais le temps, la clé des songes et les cendres de ta dernière cigarette avaient déjà filé vers l'inconnu. C'était sans doute un temps déraisonnable, comme l'écrivait l'autre guignol. N'empêche qu'une telle aventure ne pouvait pas ne pas laisser de traces. Tu crois que tu vas rafler la mise, avant de t'apercevoir combien tu es naïf. Tu t'es précipité : pas la peine d'ajouter une précision, un complément, une circonstance, ce qui aurait des allures d'excuse. La compromission commence à l'heure même où tu fais un geste pour sauver quelque chose.
-
Conjonctif
J
Jacques Villeglé, Bleu O Noir (1955)
Tout ce qu'on ne peut pas arracher, restant à l'insoumission face à l'adversité du temps, d'une fragilité tout épithéliale sans doute mais précieuse. C'est très rigoureusement l'impartition de la mémoire, qui se déploie selon des trajectoires rappelant celles du bateau amené à tirer des bords pour remonter contre le vent.
-
Cortège
Paul Cézanne, Nature morte aux pommes et aux oranges (1898)
Au soir du 24 décembre, elle avait le droit à une orange. Ce n'est pas du misérabilisme, mais la vérité. La vie. Et dans la coupe de fruits, sur la table, devant toi, les pommes et les oranges s'accumulent.
Nous sommes pourtant loin de Noël. Dérisoire.
Ayant désemparé l'histoire des autres, de nos précédents, nous nourrissons le vide de fruits anachroniques et sans goût...