En Belgique, le vote est obligatoire, sous peine de sanction. Le Belge croit donc en la démocratie, en l'effectivité du vote, en la capacité de l'urne électorale à faire bouger les choses. Présenter le pays ainsi, c'est tout de suite avoir envie de retourner lire Baudelaire. Le Belge est naïf ! Il faut dire qu'il n'habite pas vraiment un pays. La Belgique est historiquement une bonne blague. Cela ne rend pas les citoyens de ce royaume moins sympathiques, moins chaleureux. Ils ont en plus les meilleures bières du monde...
Bref, le Belge est démocrate et nul ne peut se soustraire à ce diktat du vote. Du coup, un esprit facétieux, voire sarcastique, se délecte devant la situation d'outre-Quiévrain. Depuis près d'un an, ces férus du bulletin sont sans gouvernement. L'exécutif est introuvable. Faut-il s'en réjouir ? Ce n'est pas vraiment notre problème, dira-t-on. Certes, mais ce paradoxe, d'un pays où l'impératif électoral va de pair avec sa nullité pratique, ne manquera pas de piment.
C'est qu'en effet la roue continue de tourner, le manneken-pis de pisser, Bruxellles d'accueillir le gratin de la bureaucratie européenne. Et de se demander ce qu'est alors le politique ? Non pas à la manière des Grecs, ou sur le plan d'une philosophie complète ; plus simplement s'interroger sur la détention du pouvoir. Le politique procède-t-il des mandats électifs que les élus belges semblent ne pas vouloir honorer jusqu'au bout, puisque nulle majorité ne se dégage ? Ou bien n'est-il pas, dans le fond, niché dans un appareil d'État qui fait bouillir la marmite et met de l'huile dans les rouages ? Vaste sujet, comme aurait dit le Général (oui, celui du coup d'état permanent...), lequel Général n'aimait guère la vacance du pouvoir (quoiqu'en 68, il y eut du flottement...). Il n'empêche que j'en viens à penser que la sécurité démocratique de la Belgique rend, et ce n'est pas rien, possible l'inexistence de ce qui fait l'essence de cette logique politique : un gouvernement sorti des urnes.
À ce niveau, il devient difficile d'inciter le citoyen à se déplacer. L'exemple belge pousse à croire que des politiciens il n'est nul besoin, que c'est une engeance parasitaire et que l'essentiel, pour un pays, est d'avoir des fonctionnaires sérieux et compétents qui s'acquitteront de l'essentiel quand les histrions ministériels bafouilleront encore et encore sur des sujets dont ils ne comprennent rien. Les choix des politiques seraient-ils des formes risibles d'un aléatoire qui n'a pas grand chose à monnayer, parce que, justement, la réalité de la décision se trouve ailleurs. Étrange sentiment de voir un pays sans ligne directrice, sans discours qui le concerne (sinon les débilités séparatistes flamandes) et pourtant toujours existant, comme si de rien n'était.
Cette fausse anarchie, produit d'un pouvoir en suspens sine die, est une des belles ironies de ce début de siècle, une histoire belge qui, pour l'heure, n'a pas eu de conséquences visibles ; mais, à la manière désabusée d'un La Fontaine, attendons la fin.