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front national

  • Gilles Kepel ou la sublimation de l'idiot

    Dans la polémique de la semaine autour de la décence ou non de diffuser les photos de l'État islamique, polémtique qui, dans un jeu à trois bandes, a vu un pseudo-journaliste Jean-Jacques Bourdin, et deux politiques, Marine Le Pen et Manuel Valls, faire le spectacle, on oublie que le nœud de l'"intrigue" est créé par les déclarations de Gilles Kepel. Et que dit ce monsieur ?

    Dans l'interview qu'il accorde à Bourdin, il fait un parallèle entre l'EI et le Front National et il affirme que "bien sûr ce n’est pas la même chose mais […] [ces phénomènes] se ressemblent". Sur quoi se fonde-t-il ? Sur l'idéologie d'un repli identitaire ? Il confond donc allègrement une pensée nationale qui n'est pas l'exclusive du FN (1) et une doctrine totalitaire dont les fondements dépassent justement le cadre des nations pour envisager un établissement universel de la terreur, à la manière de ce que fut le IIIe Reich. Or, il ne faut pas croire qu'il s'agisse d'une erreur dans l'expression, même si depuis vingt-quatre heures il essaie de rectifier le tir. Il ne faisait que reprendre ce qui est la matière de son dernier livre.

    Au-delà de l'énormité du parallèle, de l'insulte faite aux électeurs frontistes, du mépris d'une analyse sérieuse des cadres dans lesquels s'expriment ces mouvements : la démocratie d'une côté, la terreur de l'autre, au-delà de cette hystérie qui nous promet la guerre civile (Valls), qui voit du Le Pen partout (voir la une ridicule de Libération, "Trump, l'autre Le Pen" (2)), il faut rappeler que Gilles Kepel est un de ces idiots médiatiques qui se répandent, disant tout et son contraire, se trompant souvent, sans que jamais on ne leur demande des comptes. Kepel, c'est comme Minc, Attali, Artus, BHL, Glucksmann. Et pour mémoire, souvenons-nous que ce spécialiste du monde arabe nous avait vendu dans la fin des années 90 une analyse sur le déclin de l'islamisme. On peut lire de lui Fitna, par exemple, mais plus encore Jihad. Expansion et déclin de l'islamisme. Cela date de 2000. En clair, il s'est planté sur toute la ligne. Mais Kepel fait partie de ces experts sans vergogne qui vivent en grande partie de la catastrophe environnante. Un mélange de sophiste et de charogne. Une pensée putrescible. Rien de plus, mais c'est déjà trop.

     

    (1)N'est-ce d'ailleurs pas le discours d'une partie de ceux qui le combattent en lui réclamant une réaffirmation patriotique pour le contrer.

    (2)Faire du borgne national l'alpha et l'omega à l'international de toute représentation politique dite populiste est grotesque. En l'espèce, la comparaison de Trump à Le Pen, c'est passer à côté de ce que sont les États-Unis quant au centre de gravité de l'idéologie politique.  Trump est un ultra-conservateur, pour nous un homme d'extrême-droite. Soit. Mais dans un pays où Obama, transposé dans l'hexagone, se situerait à la bonne droite des Républicains.

  • Front républicain (groupe nominal)

     

    Il y a quelques années, sur Off-shore, à propos de Ni putes ni soumises, je rappelai qu'une des façons de se discréditer tenait au fait qu'en matière sémantique il est toujours dangereux de prendre ou reprendre les mots de l'adversaire. Nous en avons la preuve en ces temps électoraux.

    Laissons de côté le cours historique, qui remonte à la fin du XIXe, du concept de front républicain, car ce serait biaisé la lecture actuelle, parce que seule l'acception contemporaine de l'expression parle à ceux qui en sont les destinataires : le corps électoral. En fait, selon un principe structuraliste facile à comprendre, un sens peut certes se donner intrinsèquement (la définition classique) mais aussi selon une articulation dans un espace culturel et politique déterminé. Pour ce qui nous occupe : une définition intrinsèque posera front républicain comme une stratégie politique des partis de gouvernement visant à contrer un parti d'extrême-droite. Or, ce n'est pas suffisant pour pouvoir en discuter, et la pertinence, comme stratégie, et la connotation, parce que cette expression n'est pas neutre.

    Revenons-en aux mots. Le front républicain est un leitmotiv de la gauche pour contrer le Front National. Voilà qu'apparaît le premier problème. Ce « concept » qui induit la distinction radicale de l'éventail politique avec le FN en reprend pour partie la même terminologie. Front contre Front. On aurait pu imaginer d'autres mots : digue, barrage, rempart... Sans doute est-ce pour dramatiser l'enjeu. Le front, c'est la bataille, la lutte, l'urgence et la mobilisation. On mène la guerre au FN. Il faut que tout le monde comprenne : les âmes diverses du pays doivent s'unir, n'être plus qu'un seul homme. N'empêche : il s'agit bien de reprendre le mot de l'autre honni, de se placer sur sa thématique radicale et de lui reconnaître une certaine légitimité. Si, donc, dans l'esprit de l'affrontement, il y a égalité, la différence ne peut se faire qu'ailleurs, à travers le choix de l'adjectif.

    Républicain/national. Bel antagonisme créé par ceux qui voudraient rassembler, et qui n'ont d'ailleurs plus que le mot républicain pour trier le bon grain de l'ivraie. Outre qu'un esprit avisé s'étonnera que certains puissent s'arroger le droit de décerner des brevets de républicanisme, sachant sans aucun doute sonder mieux que d'autres les reins et les cœurs (1), il trouvera un peu gênant que soient mis, de facto, en opposition la République et la Nation. Entre les deux il faut choisir. Dilemme...

    Poussons plus loin. Si le républicain est la réponse au national, c'est que le premier s'est ingénié depuis pas mal de temps à vouloir dissoudre ou discréditer le second. Le choix n'est pas, quand on y regarde de plus près, un hasard. La République, la Ve République, une fois de Gaulle rendu à Colombey-les-Deux-Églises, a vu se succéder des dirigeants enclins à vider la France de sa réalité et de son contenu au nom d'une Europe aussi abstraite en droits des individus (sinon à circuler pour favoriser le dumping social) qu'elle est concrète pour la finance. L'esprit républicain des contempteurs de l'extrême-droite n'a de républicain que la vitrine, car pour le reste, dans l'arrière-boutique (à la décoration bruxelloise), s'agitent les détricoteurs de l'Histoire, du roman national et du territoire. Leur souci est à la mesure des programmes scolaires qu'ils concoctent depuis le collège unique du sinistre Haby (pourtant de droite...) : fabriquer des orphelins serviles au service d'un capitalisme fou (2).

    Si front républicain il y a, il n'est pas le fait de républicains (3) mais d'européistes forcenés, de godillots mondialistes qui obéissent au doigt et à l'œil aux ordres du FMI, de la Trilatérale, de Bruxelles et des marchés financiers (4). Ils mènent bien une guerre mais pas celle que l'on croit. Ils n'invoquent pas la morale électorale pour ce qu'elle pourrait être : un combat fondé sur une crainte fasciste réelle. Ils fabriquent cette crainte pour en masquer une autre plus réelle : que leurs desseins technocrates, terroristes et authentiquement fascistes soient freinés. La meilleure preuve en est qu'ils suffoquent au nom de Hénin-Beaumont et applaudissent à celui de Svoboda, en Ukraine.

     

    (1)Faculté étrange de divination qui, pourtant, semble n'être qu'une façade puisque ces belles âmes ne vont pas jusqu'à interdire aux non-républicains le droit de fonder un parti, de se présenter aux élections et d'avoir des électeurs. Singulière tiédeur, mollesse coupable qui n'est pas très révolutionnaire (puisque la Révolution est leur totem...), à faire bondir Saint-Just, lequel répétait qu'il ne pouvait y avoir de liberté pour les ennemis de la liberté. Il faut dire que les ameuteurs (non pas les amateurs...) sont les premiers à tirer un certain bénéfice électoral de la montée FN.

    (2)Que les cocos cautionnent cela est à mourir de rire. Mais il est vrai qu'il faut bien manger et sauver les restes du communisme municipal.

    (3)À moins que le mépris pour le vote populaire de 2005 soit dans l'esprit républicain...

    (4)On lira avec délectation la tribune de Laurence Parisot dans Le Monde daté de ce samedi. De même qu'elle défendit il y a quelques mois Léonarda et les sans-papiers, l'ex-présidente du MEDEF s'engage en politique sur la question du FN avec une verve telle qu'on l'invite à se proposer pour prendre la place prochainement vacante de Jean-Philippe Désir, à la tête du PS. Les masques tombent...

  • L'arbre et la forêt...

     

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    Au delà du mensonge et de la fraude, l'affaire Cahuzac charrie une autre boue dont la gauche socialiste essaie de ne pas trop se couvrir. Il ne suffisait pas un ministre du Budget de planquer de l'argent en Suisse puis à Singapour. Il fallait encore que l'histoire fasse ressortir ses embarrassantes amitiés.

    Non seulement Cahuzac a fait appel à un proche de Marion Le Pen pour ouvrir le compte qui aujourd'hui le met au ban de la société politique (mais avec une nuance qui fait sourire : tout le vocabulaire et la compréhension, y compris à droite, pour l'homme à terre qu'il est devenu, l'homme blessé, l'homme meurtri, etc, etc. Ou quand, à la vindicte morale de façade on substitue la compassion entre nantis. On aimerait évidemment que les politiques aient autant d'indulgence personnelle pour la petite délinquance, le voyou de quartier, ou le voleur pauvre), non seulement il a fait appel à un avocat fiscaliste qui fricote avec le FN, mais on apprend qu'il a eu depuis longtemps des amitiés certaines avec des gudards avérés qui n'ont jamais renoncé à leur sensibilité politique.

    Pour plus de clarté : le GUD (Groupe Union Défense) est un syndicat étudiants d'extrême-droite dont l'idéologie et les méthodes sont à tout le moins musclés. Le Monde révèle que dans les années 90, Cahuzac fréquente beaucoup Philippe Péninque (le fameux avocat qui l'aide) et Jean-Pierre Eymié, lui-même avocat. Ce ne sont pas des amitiés de jeunesse, des accointances de fin d'adolescence. Ce sont des hommes mûrs qui se retrouvent et qui s'apprécient.

    En clair, Jérôme Cahuzac, adhérent au PS en 1977, aspirant à des responsabilités politiques dans le sérail socialiste, ne s'interdit pas de côtoyer des hommes dont les options idéologiques sont celles-là même qu'est censé combattre sa famille politique. Le journal précise que «la petite bande se retrouve régulièrement depuis la fac, autour d'un golf, à Vaucresson ou à la Baule. Ou encore dans la jolie maison du cap Benat, près du Lavandou, dans le Var, chez les Eymié. Jerôme Cahuzac se met à la boxe et au vélo, comme ses deux amis.» Mieux : elle investit dans une affaire au Pérou via une société, une SCI La Rumine.

    Alors que le PS fait ses choux gras d'un discours huilé et intéressé sur le FN, qu'il nous sort à la moindre occasion le couplet du cordon sanitaire ou celui de l'arc républicain, un homme appelé à une belle carrière commence à frauder et s'enrichit avec des copains d'extrême-droite. Pour faire simple : le riche socialiste a le droit de s'accommoder de l'esprit frontiste, quand l'électeur qui glisse, à tort ou à raison, son bulletin lui aussi frontiste dans l'urne, a le droit d'être traité de facho. Ce qui pourrait sembler un acte isolé, un choix individuel avec lequel il n'est pas possible de tirer le moindre enseignement est au contraire un symptôme de plus de la duplicité des socialistes vis-à-vis du FN et des idées d'extrême-droite. Ils s'en arrangent parce qu'elles les arrangent. Elles leur permettent de fonder leur légitimité morale à peu de frais (on en voit encore les restes aujourd'hui : les pires saloperies dont ils sont responsables ne les empêchent pas d'avertir le bon peuple que celui-ci n'a pas le droit d'aller voir ailleurs et que ce serait péché que de finir dans les filets de Marion and co. Toujours la même antienne : demander encore plus de vertu aux pauvres). Elles leur offrent une virginité sans cesse recommencée.

    Cahuzac n'est pas qu'un cynique économique, qu'un moralisateur indexé à l'optimisme suisse (sur un compte bloqué...) ; il est un mensonge politique, une vacuité nauséabonde du politique.

    Or, si l'on veut bien admettre, pour l'aspect financier, la ridicule ignorance de l'exécutif, la capacité de dissimulation du ministre du Budget, il n'est pas pensable, parce que, sur un tel homme, les RG ont obligatoirement des fiches, il n'est pas pensable que ce même exécutif n'ait pas su, qu'il n'ait pas connu, et donc compris, les amitiés fortes de ce dernier pour des gens d'extrême-droite.

    C'est donc une faute politique que cette nomination, une complaisance ignoble que cette célébration de Cahuzac avant sa chute.

    Les 600 000 euros sont mesquins eu égard à sa richesse et à sa fonction. Il est cupide. Il a menti pour quelques billets (encore que ces billets, bien des malheureux voudraient pouvoir les sentir dans leurs poches, pour manger, se loger, s'habiller).

    Les amitiés non sanctionnées de Cahuzac sont pires encore. Et bien plus révélatrice de l'héritage mitterrandien dont les gouvernants d'aujourd'hui sont les rejetons pourris. De même que le Florentin avait son Bousquet, les socialistes du moment ont leur nationaliste des beaux quartiers. La classe, quoi !

    À partir de là, qu'ajouter ? Rien, et se taire, faute de mieux, devant les prochaines échéances, quand Marion et sa clique viendront rafler la mise. Cela peut faire peur sans doute, mais disons-le sans détour : rien, absolument rien, ne me détournera de l'abstention. J'ai déjà donné en 2002...

  • Police politique

     

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    Je n'ai pas pour Renaud Camus une passion littéraire inconsidérée mais dans le paysage désolant et consensuel de la littérature française (entre repenti post-colonial, gender studies dissimulées et avant-garde creuse), il n'est pas non plus, loin s'en faut, l'indigne écrivaillon dont on ferait des pages dithyrambiques pour vendre de la feuille. Ses positions que d'aucuns qualifieront de réactionnaires sont connues depuis longtemps. Il fait partie, avec Richard Millet, de ces écrivains non négligeables qui, devant l'extase cosmopolite, ont décidé depuis longtemps de faire entendre une voix/voie classique.

    Sans doute  est-elle trop hexagonale, trop peu dans l'air du temps. Mais je ne sache pas qu'il faille être à la pointe de la mode pour être un écrivain. Touours est-il que Renaud Camus a commis, et c'est son droit, un texte public dans lequel il défendait Marion Le Pen. On peut, et c'est mon cas (1), ne pas soutenir cet engagement sans pour autant vouer aux gémonies l'écrivain qu'il est. Parce que si l'on introduit le moralisme bourgeois dans l'historique de ce qui fait notre culture, il va falloir sérieusement faire le ménage, vu le nombre d'énergumènes qui la peuplent et qui feraient bondir les Homais de service, lesquels sont fort nombreux à mesure que se répand, à la place de l'instruction, une éducation fade, consensuel et petite-bourgeoise (2).

    Prenons un exemple.

    « Les éditions P.O.L et Fayard ont décidé de ne plus publier Renaud Camus après le soutien de celui-ci à Marine Le Pen (Le Monde, 19 avril). D’aucuns pleurnicheront encore sur une liberté d’expression qui s’amenuise… Or il faudrait rappeler que la liberté d’expression ne concerne pas seulement les auteurs, mais les éditeurs aussi : un éditeur a le droit de s’exprimer contre l’un de ses auteurs, de ne plus désirer publier un facho. »

    Ainsi commence l'argumentaire, si toutefois le mot convient, du billet commis par Nelly Kaprièlan le 4 mai 2012 pour les Inrockuptibles. On appréciera le sophisme de la démarche qui consiste à utiliser la bonne méthode du paradoxe : la liberté tolère que l'on fasse taire les écrivains. Il y a un petit côté Saint-Just chez cette plumitive : pas de liberté pour les ennemis de la liberté. Ce qu'elle n'aime pas, comme à peu près tous les enragés d'un camp ou de l'autre, c'est autrui, un autrui si différent, si problématique qu'elle le juge sectaire et dangereux. Dès lors, il faut le réduire au silence. Et l'on comprend bien que nous sommes, défenseurs (quoique le mot ne convienne pas) potentiels de Renaud Camus, toxiques et que nos objections relèvent de la niaiserie et de la sensiblerie : nous ne nous indignons pas (c'est bon pour Hessel et sa clique : ils se sont accaparé la dignité), nous ne contestons pas, nous pleurnichons. Magnifique rhétorique du mépris et de la suffisance qui passe fort bien, qui est même très tendance, puisqu'elle est de gauche. Encore que cela soit une approximation : il s'agit d'une certaine gauche, celle qui distribue le mone en deux camps. Elle-même et les fascistes, peu ou prou.

    La défense des éditions P.O.L. est pathétique. Outre le fait que Nelly Kaprièlan revendique un droit à faire ce qu'on veut quand on veut, lequel ressort d'une pure logique libérale (mais il est vrai que les artistes et les écrivains ne sont pas protégés par les droits du travail. Ils ne travaillent pas ; ils créent (3)). On prend, on publie, on vire. Pathétique, dis-je, parce que les orientations de Renaud Camus, son amour de la France, sa défiance devant l'idéologie cosmopolite et différentialiste, tout cela ne date pas d'hier et ce n'est pas sa lettre de soutien à Marion Le Pen qui doit tromper son monde. Pour être cohérent, il aurait fallu le dénoncer depuis plus longtemps et en tirer les conséquences les plus élémentaires sur son éditeur : le dénoncer comme un éditeur de fachos, appeler à son boycott.

    Cela fait fi évidemment de l'écriture de Renaud Camus (4). Mais il est vrai qu'il n'est pas très trash, très rock, très hype, Renaud. Pour le moins. Or, c'est ce qui importe à une culture clinquante et forcément moderne comme la promeut la revue. C'est ainsi qu'il y a des sujets qui ne peuvent plus porter, qui ne peuvent plus avoir de sens. La vindicte contre Renaud Camus va bien au-delà de son engagement lepéniste (encore que l'expression soit excessive (5)). Elle recouvre cette distinction définie à l'aube du XXe siècle, quand, sous prétexte des suites de l'affaire Dreyfus, s'opposèrent Barrès et Gide. Derrière cela, des orientations intellectuelles qui s'inscrivent dans l'espace : la campagne, le terroir, la tradition, le passé (ou ce que l'on tient pour tel) d'un côté, de l'autre, la ville, le mouvement, le mélange, le présent et l'avenir.

    À partir de là, il faut choisir son camp. Du moins est-ce le diktat d'une contemporanéité qui n'a qu'un souci, c'est de liquider le passé. Au fond, il n'y a pas loin entre une plumitive des Inrocks et Sarkozy qui trouvait qu'on faisait chier le monde avec La Princesse de Clèves. Et c'est toujours très drôle (un peu affligeant aussi) de voir de tels amis s'étriper ainsi, quand ils ont sur la tradition culturelle la même vision méprisante.

    Le retour de la gauche au pouvoir est donc inauguré par le renvoi de Renaud Camus sur ses terres. Pourquoi pas ? Le plus marquant, dans le papier de Nelly Kaprièlan, est le plaisir à peine dissimulé d'avoir obtenu la peau de celui dont l'intelligence aurait sans doute beaucoup à lui apprendre (mais c'est bien connu : chacun selon ses moyens...). Elle a eu son facho. Elle pourra, plus tard, le soir, à la chandelle, raconter sa guerre, son maquis d'écrivaillon, luttant tant et plus que le félon rendit gorge. Car il en fallait, sachez-le, pour obtenir des têtes telles que la sienne. Son éditeur P.O.L. s'obstinait. Enfin Hollande vint et son élection annoncée coupa le nœud gordien. Et tout fut paisible en ce beau pays de France (6).

     

     

    (1)Autant l'écrire vite : les séides du Politburo sont prompts à faire de vous un fasciste. C'est d'ailleurs ce que détermine chez eux l'aphasie dont ils sont atteints. Le fasciste est l'autre qu'ils ne veulent pas prendre en charge, parce qu'il leur rappelle des souvenirs chinois ou cambodgiens, sans doute...

    (2)Au loisir de chacun d'aller fouiller la biographie de Baudelaire, Flaubert, Chateaubriand, Caravage, Pasolini, Céline, Grass, Henri MIller, Genet, Maïakovski,

    (3)C'est d'ailleurs au nom de cette capacité à la création ex nihilo qu'est célébré Lang, le héraut de la culture de gauche, et que fut, en 1992, attaqué Bourdieu pour avoir démenti de façon magistrale ce credo romantique ridicule, dans Les Règles de l'art. Mais Bourdieu n'était pas très... parisien.

    (4)Comme la remarque incidente sur Richard Millet. Nelly Kaprièlan néglige la beauté classique de la langue et confond en une seule veine, sans doute, le polémiste de L'Opprobre et le prosateur magnifique des Sœurs Piale et de Ma Vie parmi les ombres.

    Il est vrai que cette plumitive ne sait pas écrire : « Quant à Richard Millet, dont nous fûmes peu nombreux à nous ériger contre le racisme de ses livres,... ». Voilà ce qui s'appelle malmener la grammaire...

    (5)On trouvera néanmoins un peu inutile et ridicule ce soutien. À quoi peut-il, en effet, correspondre ? Quel lien profond existe-t-il entre un esthète misanthrope comme Camus et l'idéologie frontiste ? Certains diront : la haine. Soit, mais ce serait un peu court car si la haine était circonscrite à l'extrême-droite, nous aurions quelque espoir de voir le monde s'améliorer...

    (6)La dernière phrase est évidemment à rayer. Trop tradi, trop cul terreux, trop facho...




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  • Rhétorique française : Fillon.

     

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    Concernant le premier ministre François Fillon, il est toujours possible de remarquer que son parcours intellectuel ne plaide guère en sa faveur. D'abord fidèle par les fidèles du seul homme politique intelligent de ces trente dernières années, Philippe Séguin, il est devenu le fantoche de Sarkozy, lequel ne brille pas, c'est le moins qu'on puisse dire, par ses hauteurs de vue en matière de politique. Il y a dans sa trajectoire un dépérissement qualitatif certain. Néanmoins, il n'avait pas encore cédé à la bêtise facile, jusqu'à l'affaire Joly début juillet.

    La stupidité est paradoxalement plus criante lorsqu'elle prend un bouc émissaire, plus voyante encore lorsque celui-ci n'a pas a priori vos faveurs et que tout à coup vous avez envie de le défendre. Ainsi Éva Joly... Sa désignation comme candidate des Verts me la rend peu sympathique (politiquement parlant s'entend, parce que, pour ce qui est de sa personne, je n'ai rien à en dire...). Cette madame Joly a donc eu l'occasion de dire tout le mal qu'elle pensait de l'étalage militariste et incidemment belliciste dont la République française s'enorgueillissait le jour de la fête nationale. Ce jugement, même si on ne le partage pas, n'a rien en soi d'excessif. Ce qui l'est plus tient dans la comparaison maladroite avec la Corée du Nord. Disons qu'il y a là un effet de rhétorique plutôt grotesque. Pas de quoi fouetter un chat. Il m'a paru bien plus ridicule de nous resservir le énième assaisonnement citoyen pour compenser l'abandon du défilé de l'X et de la Légion étrangère.

    Et puisque l'on parle d'étranger, revenons donc au sieur Fillon, lequel, dans un de ces élans patriotiques dont la classe politique se gargarise (et ce, d'autant plus qu'elle abandonne, tous bords confondus, les principes républicains), s'est fendu d'un commentaire afin de remettre la petite Éva à sa place.  L'argumentaire du chef du gouvernement tient en deux affirmations assez lapidaires. Madame Joly méconnaît la tradition française. Elle la méconnaît d'autant plus qu'elle n'a pas derrière elle une histoire qui puisse la lui faire comprendre. Entendons plus clairement : elle est norvégienne et sa nationalité hexagonale est fraîche, trop fraîche pour qu'elle puisse comprendre l'essence de l'âme française.

    En l'espèce, il faut bien admettre que le sieur Fillon s'inspire d'une vraie tradition. Il puise dans le meilleur de la puanteur fin de siècle (le XIXe, précisons-le), de la logorrhée nationaliste et xénophobe, et à l'entendre ainsi éructer je retourne feuilleter Scènes et doctrines du nationalisme de Barrès, dans lequel je lis les lignes suivantes (alors que l'affaire Dreyfus fait rage) :

    "Qu'est-ce qu'Émile Zola ? Je le regarde à ses racines : cet homme n'est pas un Français"

    (s'adressant à Zola) : "il y a une frontière entre vous et moi. Quelle frontière ? Les Alpes"

    "Nous ne tenons pas nos idées et nos raisonnements de la nationalité que nous adoptons et quand je me ferais naturaliser Chioix en me conformant scrupuleusement aux prescriptions de la légalité chinoise, je ne cesserais pas d'élaborer des idées française et de les associer en Francais."


    Voilà qui a au moins le mérite de la clarté. Le procès de Fillon relève de la même dialectique : c'est la mise en scène d'une défense nationale devant des paroles ou des comportements qui seraient ceux de l'anti-France. Pour ce faire, il est juste de rappeler à celui (ici, à celle) qui a commis un impair sa position d'étrangère. Or, attaquer Éva Joly sur le plan d'un mépris de la chose publique française est une absurdité absolue. Car n'est-ce pas le souci de faire vivre une démocratie mise à mal par les partis au pouvoir (y compris celui auquel appartient le premier ministre) qui l'a mise au cœur des affaires qu'elle eut à traiter lorsqu'elle instruisait au sein du pôle financier du tribunal de Paris. En quoi ses origines norvégiennes la rendraient-elles moins capables de porter un jugement sur le pays dans lequel elle vit depuis si longtemps et pour lequel elle a œuvré, bien plus que tant de bons Français, dans le sens d'une remise en cause des comportements délictueux et féodaux ? Dès lors, contester sa position sur le 14 juillet est tout à fait légitime si l'on veut bien assumer sa dimension militaire, si on en revendique la nécessité, si on pose comme principe que la guerre (et la capacité de la faire) est inhérent à l'établissement ou la préservation de la démocratie. On peut moquer l'angélisme politique de madame Joly et sa vision pleine d'optimisme sur l'état du monde. Encore faut-il lui opposer une dialectique qui ne sente pas l'égout...

    Aller chercher l'argument généalogique pour discréditer une parole est une absurdité consternante. Rappelons alors au sieur Fillon que cette assimilation de l'esprit français à son inscription intemporelle dans l'espace était une des antiennes du pétainisme : "La terre ne ment pas". Faut-il ajouter que l'histoire de la résistance à l'occupant ne permettrait pas de dresser une séparation nette entre les Français et les étrangers, qu'il eut des Dupont héroïques, qu'il y en eut des couards (et pire encore), qu'il y eut des étrangers héroïques qui se firent défenseurs de mon pays sans qu'ils s'interrogeassent sur le nombre de quartiers de leur francité (et sans que ceux avec qui ils luttaient s'en inquiétassent). C'est une piètre rhétorique que de vouloir nous faire croire qu'il existe une génétique de l'esprit français. On comprend bien qu'une telle intervention prend son sens dans une recherche électoraliste visant le vivier du Front national. Triste avilissement de l'esprit que de procéder ainsi. : ce n'est pas une chasse au métèque mais cela y ressemble. D'autant plus triste que le sieur Fillon est marié à une Anglaise et il serait fort mesquin de lui demander ce qu'il pense de l'intégration intellectuelle et culturelle de son épouse. De même qu'il serait absurde de lui demander ce qu'il en est de travailler pour un homme qui est génétiquement plus Hongrois que Français. Certes, on peut ironiser mais on entre alors sur un terrain miné... Il vaut mieux le savoir.

    Il y a un an, j'avais réouvert Off-shore sur les déclarations estivales d'un ministre qui tenait des propos allant dans le même sens : une connaissance claire de "l'être-français" et une sur-détermination de l'origine. Il semble bien que ce qui pouvait à la limite passer pour un excès de langage ou une bêtise individuelle soit devenu un fonds idéologique pour la droite qui se dit encore républicaine...

     

     

  • Pauvre Belgique

    Ainsi les Belges se résolvent-ils lentement à voir disparaître leur pays... Cela ne nous concernerait guère en l'espèce, sinon que devant autant de bêtise, on n'a moins de scrupules à relire le Baudelaire de La Belgique déshabillée où l'on trouve de tant de méchancetés. Méchancetés qui, à un siècle et demi de distance, sonnent joliment comme des vérités contemporaines. «Il n'y a pas de peuple Belge [sic] proprement dit. Il y a des races ennemies et des villes ennemies. Voyez Anvers. La Belgique, arlequin diplomatique». C'est peut-être dur mais ces observations reflètent d'une certaine manière l'artificialité constitutive du pays.

    Ceci étant, il reste que le temps n'aura donc pas fait son office et que ce pays n'aura jamais su trouver sa place à l'intérieur même du territoire qui lui fut dévolu. Il n'aura servi, depuis quelques décennies, qu'à symboliser, à travers une métonymique capitale (Bruxelles pour désigner l'Union Européenne, la politique de Bruxelles -ce qui est fort drôle quand l'autorité belge elle-même se délitait), un pouvoir européen, une technocratie liberticide qui a justement comme objectif secret de décomposer les États, d'abolir les frontières, parce qu'ils sont des freins aux lois du marché.

    Le plus singulier est de voir que cette lente déréliction politique trouve aujourd'hui son arme efficace dans un nationalisme flamand qui n'est pas sans rappeler les velléités séparatistes de la Ligue du Nord italienne. Du côté flamand, on agite les revendications identitaires et les prérogatives linguistiques pour demander son émancipation. Il est vrai que cette partie du territoire belge brille particulièrement par son aura culturel ! Il ne faut pas s'y tromper. Ce sont des impératifs économiques, des refus de mise en commun, qui motivent une telle aspiration. La richesse flamande ne veut plus payer pour la pauvreté wallonne, de même que les Milanais ou les Florentins (du moins certains d'entre eux) ne veulent plus des prétendus fainéants Siciliens ou Calabrais... Cela ressemble fort à du séparatisme fiscal.

    Il y a donc une inflexion sensible d'une certaine orientation nationaliste vers des intérêts qui font le jeu des doctrines ultra-libérales. Loin de se penser en pays, en territoire, en communauté sur lesquels ils pourraient vouloir imprimer leur marque, une frange nationalo-économique aspire à l'indépendance selon le principe étriqué et en soi peu politique d'une évaluation des coûts et des profits. On se doutait bien de cette évolution, lorsqu'on examinait les choix fort libéraux du Front National en France. Le paradoxe est là : des nationalistes qui n'aiment pas leur pays, l'histoire de leur pays, mais eux-mêmes, rien qu'eux-mêmes, dans une sorte de projection narcissique délirante.

    Le plus inquiétant est évidemment que ce phénomène prenne de l'ampleur, qu'il ne soit pas facilité par l'idéologie différentialiste. Il n'y a peut-être pas si loin d'un slogan comme La Flandre aux Flamands (mais vous pouvez remplacer ces deux mots par quantité d'autres) à celui-ci : La richesse aux plus riches.