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empire

  • Rome, au crépuscule

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    C'est après être passé chez Roscioli, pour un si tendre apfelstrudel, qu'il s'est mis à chercher quelque terrasse où il pourrait boire une Theresianer, que l'on fabrique non loin de Trieste, depuis 1766. Ainsi, en un temps très court, le voici remonté dans le nord de l'Italie, dans cet autre monde qui fut si longtemps dans le cercle de l'empire des Habsbourg, cette Italie matinée du double élan impulsé par le Saint Empire Germanique puis l'empire austro-hongrois. 

    Les gens filent devant lui, dans tous les sens, les uns vaquant à leurs occupations, les autres furetant le monument inoubliable. Son verre se vide doucement et il rêve à ces mondes finis, pourtant si grands qu'on ne les eût, sans doute, jamais imaginés comme des ombres, réduits qu'ils sont à des vestiges ou à des demeures énervées. Les temps ne sont pourtant pas si lointains où la politique pouvait encore se penser dans le Mitteleuropa. Il n'a plus à sa disposition qu'une rêverie en sucre (comme de goûter un Esterhazy dans une bonbonnière de Salzbourg) et le goût piquant d'une fermentation.

    Il n'y a rien de hasardeux à ramener sur cette place discrète et romaine les fantômes de Vienne et Ratisbonne. Il s'est, la matinée durant, perdu dans les pierres folles et démembrées du Forum. L'infini empire, encore un..., de Trajan n'est plus qu'un bassin ridicule, dont la beauté est factice, dont le désastre ne se verra jamais aussi bien qu'en allant sur la Roche Tarpéienne, quand des fourmis bariolés tentent, sous le soleil, de donner du sens au passé. Vaste soupir des choses, désagrégation de la pensée. Rien ne tient, rien n'est intangible et la Fortune est amère.

    L'affaire n'est donc pas nouvelle et son verre est achevé. Les troupeaux passent et repassent. Il est cinq heures. Ils viennent de tous les coins du monde et l'Europe se meurt. L'histoire n'est plus qu'un bavardage de guides, la pensée une affaire de statues aux noms inconnus. 

    L'Europe, celle qui, justement, remonte si loin, s'est formée de toutes les concrétions historiques et religieuses, se décompose. Elle n'est même plus une appellation proprement géographique ; elle n'est plus qu'une zone. Une zone de libre-échange, un carrefour circulatoire. Elle est une étiquette sur un cadavre, elle est atteint d'un mal mortel : la haine de soi. Cet effondrement, c'est à Rome qu'on la sent comme jamais.

    Quand les alentours de la piazza di Spagna ne sont plus que des allées marchandes internationales, ceux de la piazzale Vittorio Emmanuelle une suite d'enseignes asiatiques (jusqu'à la pharmacie) ; qu'au même endroit le trottoir est consacré aux prières de rue, la tête tournée vers La Mecque ; que le flot imbécile des errants touristiques ne tarit pas où q'u'on aille, ou presque, alors lui revient cette phrase de Chateaubriand, écrite en 1838, désolé de voir "la Rome chrétienne (qui) redescend peu à peu dans ses catacombes."

    Mais ce n'est plus seulement de Rome qu'il s'agit. La Ville, qui n'a plus rien d'Éternelle, nous tend un miroir cruel...

     

    Photo : Philippe Nauher