"rien n'est donné tout est construit" (Bachelard)
Ils votèrent Macron. Ils auraient voté pour une chèvre, un arbuste, un bon de réduction. Ils avaient l'impression d'exister, d'être provocateurs, de construire un avenir, de réduire les rapports de classes, d'anéantir la finance, de conjurer le marché, de jeter les marxistes aux orties, de prévoir les nuées de sauterelles, d'assécher les périodes sans pluie, de s'aimer les uns les autres, de compenser leur médiocrité démocratique, d'avoir une parole qui porte, d'être citoyens du monde, de jeter la haine dans le caniveau, d'être jeunes, libres, sérieux, enthousiastes, responsables, utopiques, subtils, imprévisibles, en avance sur leur temps, multicolores, protéiformes, insaisissables, terriblement humains.
Ils n'étaient pas d'ici, ils voulaient embrasser le monde, le broyer de leur grandeur et de leur intelligence. Ils étaient de partout. Ils n'avaient pas de passé (ne pouvant avoir de futur, sinon politiquement funéraire). Ils n'avaient ni peau, ni chair, ni voix, ni sexe, ni dégoût, ni envie, ni doute.
Ils se croyaient justes, d'une comptabilité élective qui rappelait les républiques bananières. Ils confondaient la légitimité orchestrée et l'empreinte historique. Ils avaient l'inculture et la morgue des nouveaux riches. Pour se sauver eux-mêmes, certains disaient qu'ils n'étaient pas de gauche, alors que justement ils étaient l'incarnation ultime (c'est-à-dire mortifère) de la gauche...